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LE CHAT : 3ème entretien P. C. Aubrit Saint Pol




LE #CHAT : 3ème entretien


Nuit noire, menaçante, immobile. Marche lourde, étouffée. Silhouette écrasée, affaissée. Les ombres se dissimulent en elles comme la toile mouillée étalée en grands plis sur l'asphalte écaillé, fissuré. Le gouffre allonge la journée plombée. Rien n'allège ce fardeau. Il n'est question que d'elle. Occupe tous les espaces : une violence de plus. Mise en un écho sans fin. L'épouvante se charge d'épouvantes… Tous jouissent d'elle. Une grande bouffe ! elle les sort d'un quotidien auquel ils ne comprennent rien. Leur quart d'heure d'existence… Leur quotidien. Ils ignorent la richesse de l'ordinaire, ses silences, ses bruits. Générations de veaux.

Monsieur Chat n'est pas à la vigie. La barrière ouverte, le jardin baigné de vieil or. Tout est à sa place. Le bestiaire philosophe l'attend. Posés sur une table de jardin, un pichet et sa timbale en terre cuite. Monsieur Chat l'accueille d'un bonsoir au timbre posé sur les notes basses du Libera me Domine de Gabriel Fauré.


Chat :

Bonsoir Gédéon. Installez-vous, buvez de ce lait de chèvre à la rose.


Gédéon :

Bonsoir à vous tous, mes amis. Pourquoi faut-il que le monde s'émeuve de sa propre violence ? Il s'en bouleverse avec la même délectation qu'un chien devant son os. Quand comprendra-t-il, qu'il est son propre justicier ? Que, cette attitude dit de lui ce qu'il est : tombé dans le caniveau des maudits.


Chien :

Merci pour l'os ! Bonsoir à toi Gédéon. Tant qu'il n'aura pas été contraint à se voir en vérité, il se contentera de sa bedaine, il s'alimentera au libre-service de sa décadence.


Ane :

Ils ne savent plus se trouver. Ils ont perdu les raisons de leur existence. Ils s'abreuvent au sang des autres. L'obsession frénétique de se rassurer, de se reconnaître semblable au dénominateur le plus bas, une appétence suicidaire.


Gédéon :

La violence est la marque de l'ère chrétienne. Ils n'ont en rien compris les Paroles de Jésus. Le salut n'est-il au prix du sang ?


Chat :

Si nous abordions le sujet proposé la dernière fois : la cause du créé, de notre existence.


Chouette :

As-tu apporté l'aspirine ? Reprenez de ce lait de chèvre parfumé à la rose, il vous fera le plus grand bien.


Gédéon :

Il est vrai que votre compagnie me console. Je comprends que votre présence soit une disposition de la Providence. Pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour mériter ces grâces ? D'être distingué d'autres qui ont de bien plus grandes qualités ?


Ane :

Toutes les grâces ne sont pas une question de mérite, mais toutes sont ordonnées à…


Gédéon :

Qui êtes-vous ? Je suis prêt à tout admettre tant que c'est dans l'ordre de la vérité et de l'amour. Là, je suis dépassé. Qui êtes-vous ?


Chien :

Nous t'avons observé durant cette journée. Tu as lutté contre cette déferlante hystérique. Ton combat intérieur signe l'homme de bien. Nous savons que tu es prêt. Résister au vertige d'une telle agitation et d'une émotion aux soubassements dévastateurs n'est pas rien. Je suis #Albert de Ratisbonne ; le Chat, #Thomas d'Aquino ; la Chouette, #Augustin d'Hippone ; Ane, #Jérôme de Stridon.


Tous sont revêtus d'une robe blanche ceinturée d'une corde à trois nœuds.


Gédéon :

Pourquoi m'avoir abordé sous l'apparence d'un animal ?


Jérôme :

Il fallait accrocher ton attention au plus profond de ta mémoire et, que tu retrouves le souvenir de ton oui au-delà de l'intuition. Il s'y est inscrit dans ta Memoria dei lors de la Procession de Lumière de la Paternité Incréée du Père éternel. Tu as acquiescé à la proposition que te fît le Père éternel dès que le premier génome se fût formé. A cet instant T., tu es devenu une Personne, un homme en voie d'accomplissement.


Gédéon :

Mais pourquoi moi ? Suis-je seul à ce rendez-vous ?


Thomas :

Si tu l'es, mon ami, seul. Tu l'as toujours été. Tu le seras encore. La solitude est la première école de la vie surnaturelle. Le Christ l'a assumée pour qu'elle soit rattachée à son agonie. Il arrive que cette sorte de solitude intérieure se double d'une solitude sociale où règne en maître le sentiment du rejet. C'est le lot des mis à l'écart. La main divine pèse lourdement sur eux, mais ils ont pour sanctuaire le Cœur de l'Immaculée.


Augustin :

Toute personne a sa propre vocation qui peut être semblable à bien des égards à d'autres, mais pourtant, aucune n'est pareil. Son importance et sa marque singulière dépendent de la seule libéralité de Dieu, mais toutes ont leur place dans la Justice et la Miséricorde car, elles sont en proportion de la résistance de chacun à porter la croix du Nazaréen.


Albert :

A travers toi, la Providence lèvera les pépites semées dans les reins des fondateurs de lignée. Les temps s'accomplissent. Dieu appelle des ténèbres ceux que la société ignore, ne regarde pas et, auxquels il n'est concédé pas même un banc public. C'est l'heure de sa Justice. Comprendre, que le temps pour Dieu n'est qu'un accessoire est essentiel en cette fin de cycle. Les appelés sont ses élus, Il les a taillés au burin.


Augustin :

L'Immaculée Conception est Co-Rédemptrice dès que le péché originel fut commis. Sa mission inclura de susciter des pépites, à l'aube de l'ère chrétienne, pépites ordonnées pour la fin de ce cycle. Le mépris du monde est leur sauvegarde surtout, à l'intérieur de l'Eglise où il ne manque ni marteau, ni enclume. Les théologiens, malgré l'étendue de leur science et les âmes privilégiées que la Providence aura suscitées, sont aveugles. Ils se sont enfermés dans le cercle du mensonge et de l'orgueil, cercle gouverné par Satan, formé grâce à la Tour de Babel, renforcé avec le scandale du Veau d'Or et les membres du sanhédrin, les juges de Jésus. Le même cercle condamna Jeanne d'Arc, dans lequel se retrouvent tous les hérésiarques depuis l'origine. Etat de conscience du mensonge où s'engouffrent tous ceux qui engagent leur volonté dans cette sorte de puissance du mal.


Gédéon :

Il est vrai que ma solitude s'est alourdie ces derniers mois ?


Jérôme :

Dieu a mis à l'écart Jean le Baptiste en vue de l'annonce du royaume. Il fait de même avec ceux qui ont la mission de mettre ses ennemis sous son escabeau en vue du Monde Nouveau.


Thomas :

Tu n'as pas à te soucier des fruits visibles de ta vocation. Faits simplement et saintement ce pourquoi tu as été appelé à l'existence. Le fondateur de ta lignée a reçu une bénédiction chargée de ta destinée : "Depuis les reins de ton père, je te connais."


Gédéon :

Je n'ai donc aucune liberté. Ma prédestination est la seule autorité de mon destin.


Augustin :

Non pas ! tu avais la possibilité de refuser la proposition du Père éternel lors de sa Présence de Lumière quand Il créa ton âme et l'enrichit des trois Puissances. C'est à l'instant où tu as fait ton choix, que la Memoria dei a été mise en acte et ce fut-là, ton premier exercice d'existence, d'existence surnaturelle. Tu peux toujours la refuser, car elle n'est pas la condition de ton salut, mais tu seras le figuier sans fruit qu'il te faudra compenser au purgatoire.


Gédéon :

Je vois. Mais sous quelle forme cette vocation entrera en acte ? Je n'ai ni conseiller ni aucun appui qui puisse me comprendre. Je me dirige à vue comme le marin à la dérive. C'est comme si Dieu se voulait mon seul conseil. Je ne comprends rien à tout ceci. J'ai un jour dit à ma mère que ma vie serait douloureuse et étrange, pour toute réponse elle me fit taire d'une tape sur la joue.


Thomas :

Ta mission est en acte depuis ton baptême par la voie passive, jusqu'à présent, elle agissait au travers tes épreuves dont la solitude, mais aujourd'hui, ta volonté est sollicitée. Tu passes à l'action. Le passage s'est fait à l'instant où tu as rendu le salut à Monsieur Chat. Ta mission est, pour le moment, de faire la Vérité. Et, nous sommes envoyés vers toi pour t'y aider. N'oublie pas que la pensée est acte et, que l'agitation, même de bonne volonté, est le contraire de l'acte qui s'ordonne à la volonté divine. Car, l'action fructueuse est d'abord adoration, contemplation, méditation. La source de tout action n'est-elle pas dans le Verbe ? S'Il n'est pas invité à la porter, elle ne donnera rien que de passagères satisfactions et ses fruits ne pourront donner leur fruition.


Jérôme :

Tu continueras d'être ignoré du monde, il le faut. Dieu alertera ceux qu'il s'est choisi. Ils vivent un exode intérieur. Errance de l'amour dans le chaos des cœurs de pierre. Son intervention passera par la Memoria dei qui relie chacun d'entre nous à l'autre sur cette terre et au Ciel. Mais la grâce dont il est spécifiquement question rejoindra par toi ceux qui sont appelés au redressement de l'Eglise et de toute l'humanité. Ce n'est pas exclusif aux seuls chrétiens. La Memoria dei est le fondement de la communion des saints de l'Eglise militante et celui de la vraie fraternité universelle. Dieu n'a pas la nécessité de l'homme, mais Il veut sa collabo­ration. Ce n'est pas tes qualités qui retiennent son attention non, c'est ta misère, ton insuffisance. Une pauvreté que tu accepte afin que le Christ répandre les grâces pour l'avoir assumée pour nous.


Albert :

Tu peux fuir cette croix, mais une autre plus lourde la remplacera. Car, tu sais ce à quoi tu es appelé depuis la création de ton âme. Cette vérité est la charge de ta destinée. Ta vocation a sa source dans la Croix du Christ. Son appel au salut de tous ne s'élèvera bientôt plus car, l'heure de sa Justice étouffera sa Miséricorde.


Gédéon :

Tout prend sens. Mais n'y a-t-il pas plus capable que moi ? Je n'ai aucun diplôme selon le monde.


Thomas :

Ne doute pas de l'action de l'Esprit Saint. Il t'a formé dès le sein de ta mère. Il t'a enseigné la vraie doctrine qui se révèle en toi chaque jour. Et tu as toujours pressenti que le mépris du monde est ta plus grande fortune. Le monde est habité d'une crainte irrationnelle envers toi et tous ceux qui répondent à cet appel si singulier qui est hors de tous les sentiers. Le pire dans cette situation, est que la Justice divine veut que le monde se nourrisse de cette crainte, par elle, l'exposition de son péché est irréversible. C'est avec les rejetés, les rebus du monde que le Christ restaurera l'humanité et son Eglise. Ils sont dans le plus ordinaire dans le quotidien de leur vie. Dieu se plaît à confondre les puissants avec les miséreux. C'est l'une des raisons qui poussent les anges-démons à susciter l'avortement : empêcher, retarder le triomphe de l'Eglise par les invisibles, la gloire du triomphe.


Augustin :

La Puissance divine se révèle toujours dans ce qu'il y a de plus misérable, de plus pauvre. N'est-ce pas la leçon que Jésus nous donne dans le choix qu'Il fait des Apôtres ? Il ne les a pas choisis parmi les énarques. Regarde les docteurs de la Sorbonne comme ils se sont trompés envers Jeanne d'Arc et, observe comment aujourd'hui, ils se précipitent pour leur condamnation, persuadés d'être indispensables au peuple qu'ils méprisent. Ils sont morts, ils n'en savent rien.


Jérôme :

Nous te soutiendrons, ne crains pas. Reste toi-même, enfouis-toi dans le sanctuaire des trois Cœurs Sacrés. Nous reviendrons chaque semaine ce même jour.



Il n'y a plus la rose brillante, mais un parfum de violette. Tout fait sens. Mais pourquoi lui ? Seul. Solitude, une compagne bien lourde. Rien ne semble refermer ses déchirures. Vivre avec. Pourquoi, faut-il être exposé aux furies du monde ? Que s'est-il de l'amour ? Les dirigeants, fossoyeurs des sourires innocents. Où est l'innocence ?

Les feuilles tardives de l'automne, tapis déchirés, lamentables. Oripeaux des deuils silencieux. Qu'a-t-il à faire d'un monde délabré ? Salissure sur la création. Où sont le coq qui chante au lever du jour neuf, le perce-neige des soleils glacés, les entrelacs de la glycine accrochée au pignon d'une ferme séculaire ? Tout n'est que rectiligne, cordeau et poids, sanitaires aseptisés. Laissez-moi humer le fumier, les volutes d'une terre mouillée et labourée, réchauffée au soleil des sueurs froides, le crottin de cheval soulevé par la bise. Laissez-moi les murs délavés, les chemins rocailleux, les ornières détrempées. Mais laissez-moi la vie ! allez-vous enterrer… Rendez-moi mon bonheur ! je chie sur votre progrès. Vos rires sont trop gras. Croque-morts de vos tombes aux abîmes caressants. Rendez-moi mon bonheur !








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