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LES SAINTS et SAINTES DE FRANCE du 6 au 18 juillet

Photo du rédacteur: Pierre AubritPierre Aubrit

Dernière mise à jour : 25 août 2024



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ÉGLISE TRIOMPHANTE


6 juillet


S. GERVAIS, DIACRE DE L’ÉGLISE DU MANS,

MARTYR AU CHALONNAIS

IVe ou VIe siècle.

 

Si cupis vestimenta parare et ornare animam, eleemosyna et largitas præcipue sunt animæ vestimenta atque nitidissima indumenta.

Voulez-vons parer et orner votre âme ? L'aumône et la libéralité sont les principales parures et les plus beaux ornements de l’âme.

S. Joan. Chrys., Homïl. xxi.

 

Gervais naquit dans la cité des Cénomans, aujourd’hui Le Mans, où ses parents tenaient un rang très-distingué ; mais ils étaient plus remarquables encore par les vertus qu’ils pratiquaient que par leur naissance et leur fortune. Privés d’enfants et se voyant près de la vieillesse, ils tournèrent toutes leurs espérances du côté du ciel, et prièrent l’évêque du Mans, Innocent, d’intercéder pour eux et de leur obtenir une postérité. Il le fit et il fut exaucé. Le saint évêque conféra lui-même le baptême au fils de ses prières et lui imposa le nom de Gervais, pour honorer encore de cette manière le nouveau patron de l’Eglise du Mans.

On raconte qu’au moment où, suivant une coutume fort ancienne, et qui était particulière à un petit nombre d’églises durant les premiers siècles, le pontife allait déposer l’Eucharistie dans la bouche de l’enfant, il aperçut sur ses lèvres une goutte de sang. Il reconnut à cette marque, et il annonça aussitôt, que celui auquel il venait de conférer la grâce qui fait les chrétiens, aurait un jour le bonheur de répandre son sang pour Jésus-Christ.

Le reste de la vie de saint Gervais fut digne d’un commencement aussi merveilleux ; ses vertus le firent admirer de toute la communauté des fidèles, et il n’y eut qu’une voix pour applaudir, quand il fut appelé par l’évêque du Mans au ministère de l’autel et ordonné diacre[1].

On vit bientôt Gervais distribuer aux pauvres toutes les richesses qu’il avait héritées de ses parents, et partir avec un grand nombre de pèlerins manceaux, pour aller visiter les tombeaux des saints Apôtres à Rome. Son désir était de rester dans cette cité, loin de son pays et de ses proches, uniquement occupé au service de Dieu ; mais fidèle observateur des règles de la discipline, il ne put obéir à cette pieuse pensée, parce qu’il était attaché par son ordination à l’Église du Mans, et qu’il n’avait pu obtenir de l’évêque qui la gouvernait alors l’autorisation de s’en séparer entièrement.

Après avoir satisfait sa dévotion près des tombeaux des saints Apôtres, il revint avec ses compagnons de voyage dans les Gaules. Mais pendant qu’il traversait le pays des anciens Eduens, dont les Burgondes s’étaient déjà rendus les maîtres, après avoir franchi la Saône, dans une forêt située sur les bords de ce fleuve et nommée Corinna ou Coriana, à quelque distance de Châlons, s’étant écarté un instant de sa route, il tomba seul entre les mains d’une troupe de brigands. Ils le prirent pour un espion, et croyant leur sûreté compromise, ils se jetèrent sur lui avec fureur, le percèrent de plusieurs coups et le laissèrent expirant. Après avoir commis ce crime, ils prirent la fuite, mais l’un d’entre eux, touché tout à coup de repentir, resta auprès du corps de Gervais pour le garder, et se prosterna devant sa victime, implorant son pardon.

Des fidèles de la contrée, avertis de cet événement, accoururent pour honorer le corps du saint Martyr, et lui donner la sépulture avec tout le respect qui leur fut possible. Bientôt la dévotion des peuples fut excitée par les miracles qui s’opérèrent à ce tombeau ; on conserve avec soin et avec amour le récit des derniers moments du saint diacre. Il avait cherché à faire entendre à ses assassins des paroles de salut, il avait prié le ciel pour eux jusqu’à sa mort. Ces circonstances furent transmises par celui des brigands qui s’était converti, et l’on constata même que tous les autres périrent misérablement.

Les restes du martyr furent d’abord placés sur un char conduit par deux chevaux auxquels on ne donna aucune direction, dans l’espoir que Dieu marquerait le lieu où il voulait que son serviteur fût enterré. Ce fut en effet ce qui arriva. On bâtit un petit oratoire en bois sur la tombe de Gervais, et le peuple fidèle s’empressa d’y venir porter le tribut de ses hommages.

 

CULTE ET RELIQUES.

Au commencement du VIIe siècle, saint Loup, évêque de Chalon-sur-Saône, fut averti par le saint diacre, qui lui apparut en songe, de faire élever une église en son honneur. Le saint prélat s’empressa d’obéir, fit construire une basilique sur le lieu où reposait le martyr, la dota de biens considérables, et l’unit au monastère de Saint-Pierre, le plus important de sa ville épiscopale. Ce lieu, et le village qui a été construit autour de la basilique, portent encore aujourd’hui le nom de Saint-Gervais-en-Vallière[2].

Les reliques du saint martyr ont échappé aux troubles religieux du XVIe et du XVIIe siècle ; elles sont conservées et vénérées dans l’église dont nous venons de raconter l’origine, et leur authenticité a été reconnue par acte canonique le 19 juin 1808. Le diocèse de Chalon-sur-Saône jusqu’à sa réunion à celui d’Aulun, par le concordat de 1801, célébra la fête de saint Gervais, du rite semi-double, le 6 juillet.


Nous avons emprunté cette biographie à l'Histoire de l’Église du Mans, par le R. P. Dom Piolin. — Cf. Légendaire d’Autun, par l’abbé Peqnegnot.

 

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 7 juillet

 

SAINT FÉLIX, ÉVÊQUE DE NANTES


682. — Pape : Pelage II. — Roi de France : Childebert II.

 

Virtutum bonum quoddam et stabile fundamentum humilitas est; si nutet, illa virtutum aggregatio nonnisi ruina est.

L’humilité est le seul bon et solide fondement des vertus ; si elle chancelle, tout l’édifice des vertus n’est bientôt qu’une ruine.

Saint Bernard.

 

Saint Félix naquit dans la ville de Bourges, en Berri. Son père s’appelait aussi Félix, et était fils d’un autre Félix qui fut élevé au consulat, avec Secondinus, en l’année 511. Sa mère était d’une race très-illustre au pays d’Aquitaine : de sorte qu’il n’y avait guère de noblesse en cette province, avec laquelle notre Saint n’eût quelque alliance, et même saint Venance Fortunat, évêque de Poitiers, dans les vers qu’il a composés en son honneur, lui fait tirer son origine des anciens rois de ce pays.

Lorsqu’il fut sorti des premières années de l’enfance, ses parents eurent soin de son éducation. Il se livra à l’étude avec beaucoup d’ardeur ; et comme il avait le naturel docile, l’esprit excellent et la mémoire si heureuse, qu’il n’oubliait rien de ce qu’on lui avait appris, il y fit beaucoup de progrès. Il était d’ailleurs doux, modeste, sérieux et si porté à la vertu, qu’il ne se plaisait à aucun de ces jeux et divertissements que les autres enfants recherchent avec tant de passion. Ses études étant achevées, comme il se sentit appelé à l’état ecclésiastique, il entra dans les saints Ordres, selon les règles établies par les canons, et célébra sa première messe l’an de grâce 540, le vingt-septième de son âge. Il vécut en cet état plusieurs années, avec une intégrité de mœurs et une piété si exemplaire que la réputation de sa sainteté se répandit bientôt dans toute la France, et même jusque dans la Bretagne Armorique, qui n’était pas alors sous la domination de nos rois. Evemer, autrement dit Eumerius, évêque de Nantes, étant mort, le peuple et le clergé choisirent d’une commune voix Félix pour remplir sa place et pour être leur pasteur. Tout le diocèse conçut une grande joie de cette élection ; on lui envoya aussitôt des députés qui l'amenèrent à Nantes ; il y fut reçu avec tous les honneurs dus à sa dignité et à ses grands mérites (550).

L’odeur de ses vertus et de sa doctrine ne fut pas resserrée dans les bornes de la Gaule, elle s’étendit aussi par toute l’Europe ; mais les louanges qu’il recevait de la part des hommes ne lui donnaient aucun sentiment de vanité : il en prenait, au contraire, occasion de s’humilier davantage et de rapporter à Dieu seul tout le bien qu’on lui voulait attribuer. Ce digne pré­lat gouverna le troupeau qui lui était confié avec une grande douceur, une sagesse merveilleuse, un zèle ardent du salut des âmes et une charité incomparable. Il eut toujours beaucoup de soin des religieux et des ermites de son diocèse, particulièrement de saint Friard, qui s’était retiré dans une île de la rivière de Loire, vis-à-vis de la paroisse de Benais. Il l’honorait souvent de ses visites, et lui fournissait les choses nécessaires à la vie. Il faisait assembler dans son palais épiscopal un certain nombre de jeunes clercs qu’il dressait et instruisait lui-même pour les rendre capables de le servir dans la réforme de son diocèse, et de porter même le flambeau de la foi aux infidèles et aux hérétiques. C’est de ce séminaire de doctrine et de sainteté que sortit le glorieux Martin de Vertou, que saint Félix fit archidiacre de Nantes. Il l’envoya à Herbauges pour y prêcher l’Évangile aux habitants qui étaient encore plongés dans les ténèbres du paganisme ; mais ces détestables idolâtres ayant traité avec outrage un si saint missionnaire, ils en furent punis dans toute la rigueur de la justice de Dieu : car leur ville s’a­bîma, et elle n’est plus à présent qu’un lac nommé Grand-Lieu.

L’application de ce saint pasteur aux fonctions spirituelles de sa charge ne l’empêcha pas d’étendre aussi ses soins sur les temporelles ; il pensa donc à achever son église cathédrale, que son prédécesseur avait laissée imparfaite. Il employa à ce dessein, non-seulement les revenus de son évê­ché, mais aussi les biens de son patrimoine, avec beaucoup d’aumônes qu’il recevait pour ce sujet ; mais comme les guerres qui survinrent firent souvent interrompre cet ouvrage, il ne put être fait qu’au bout de sept ans. La plus sanglante fut celle que Clotaire Ier, roi de France, fit en Bretagne, contre son fils Chramne, qui, bien que révolté pour la seconde ou la troisième fois contre son autorité royale et paternelle, avait néanmoins trouvé un asile et une protection auprès de Conobert, comte de Rennes et de Nantes. On sait que ce monarque, n’ayant pu obliger le comte ni par ses prières, ni par ses menaces, à lui remettre son fils entre les mains, se mit enfin à la tête d’une puissante armée qu’il conduisit lui-même devant Nantes : Conobert et Chramne étant sortis au-devant de lui, près de la mer, y furent entièrement défaits : le premier y demeura sur la place, et le second y fut fait prison­nier dans sa fuite; ce malheureux prince fut brûlé tout vif dans une chau­mière avec sa femme et ses enfants, par le commandement du roi son père (560).

Cette victoire ayant mis le pays hors d’état de résister à Clotaire, la ville de Nantes fut obligée de lui ouvrir ses portes et de se mettre à sa discrétion ; mais saint Félix, qui le reçut à son entrée, toucha par ses prières et par ses larmes cet esprit inhumain, et obtint que son peuple serait traité avec toute sorte de douceur. Il entra même depuis si avant dans les bonnes grâces de ce prince, que, quand il voulut s’en retourner en France, il laissa au saint prélat le gouvernement de la ville et du comté de Nantes. C’était pour lui une charge bien pesante, et dont il avait une extrême aversion ; mais, comme il vit que c’était aussi un moyen favorable que la divine Providence lui présentait pour le soulagement de ses diocésains, réduits par la guerre à la dernière misère, il l’accepta pour un temps. Ce fut alors que sa prudence et sa force d’esprit parurent dans tout leur éclat ; car, sans rien diminuer des soins qu’il devait à sa charge pastorale, il s’acquitta si dignement de tous les devoirs d’un bon gouverneur de ville et de province, qu’on fut obligé d’avouer que le roi n’aurait jamais pu faire un meilleur choix.

Il était en une telle estime par toute la Bretagne, que les plus grands seigneurs s’en remettaient à son jugement des différends qui naissaient entre eux. Par le crédit que sa vertu lui donnait, il détourna Conon (Canao), comte de Vannes, qui avait déjà fait mourir trois de ses frères pour n’avoir point de compétiteur en son État, de faire le même traitement à Macliau son quatrième frère. Cependant, Macliau donna bien de la peine à notre Saint, car, d’abord, pour ôter tout soupçon au comte, son frère, et pour éviter sa fureur qui pouvait se rallumer, il mit sa femme dans un monas­tère, embrassa l’état ecclésiastique, et fut même consacré évêque de Vannes; mais son frère étant venu à mourir, il reprit l’esprit du monde, et, poussé par une ambition plus que diabolique, il abandonna les autels, foula aux pieds le sacerdoce, et, par une apostasie scandaleuse, renonça à l’auguste qualité de prélat dans l’Eglise de Jésus-Christ pour se remettre avec sa femme et se rendre le maître de la souveraineté. Saint Félix fit tout son possible, par ses prières et par ses remontrances, premièrement pour l’empêcher d’en venir à ce point, ensuite pour le porter à la pénitence et le re­tirer d’un abîme si funeste : mais cet apostat demeura obstiné dans son péché et résista toujours à la grâce de Jésus-Christ, qui parlait par son serviteur : il en fut puni, car il fut tué par Théodoric, fils de Budik, comte de Cornouailles.

Toutes ces choses se passaient hors du ressort de Nantes; mais ce comté, que Clotaire avait uni à sa couronne, et où il avait laissé garnison, ne demeura pas longtemps en paix; car Dunalic, fils de Conobert, voulant rentrer dans les États de son père, y amena une forte armée avec l’aide des autres princes de Bretagne, et y fit de grands ravages, et celle que le roi Chilpéric, fils de Clotaire, y envoya contre lui, n’y fit pas un moindre dégât : de sorte que le saint évêque eut la douleur de voir son diocèse exposé au pillage de deux puissants adversaires. Il allait sans cesse trouver les chefs de l’un et de l’autre parti pour ménager entre eux une paix qui remît la province en repos ; mais, comme ni les uns ni les autres ne voulurent point céder de leurs prétentions sur Rennes et sur Nantes, tout ce qu’il put gagner sur eux fut qu’ils épargneraient en sa considération le pays que la divine Providence avait commis à sa charge : ce qui lui donna un peu de soulagement et de relâche. Cet excellent prélat fit faire de beaux travaux publics pour la commodité de ses diocésains. Il donna un nouveau lit à la Loire et lui fit environner les murailles de la ville ; il creusa et approfondit celui de l’Erdre pour la rendre plus propre au commerce ; il fît construire le port de la Fosse, un des plus beaux de toute l’Europe. Le soin du temporel ne ralentissait en rien sa sollicitude pour les affaires ecclésiastiques.

L’an 567, sous le pape Jean III, fut assemblé un concile national à Tours, pour divers besoins de l’Église. L’archevêque Euphrone y présida, et notre Saint, qui était de sa province, ne manqua pas de s’y trouver. On y fît de très-beaux canons pour la réformation des mœurs et pour l’utilité des diocèses. Le troisième ordonne qu’on conserve le corps de Jésus-Christ sur l’autel, non pas au rang des images ; mais sous la croix[3]. Le cinquième, que chaque ville nourrisse ses pauvres et que les ecclésiastiques, aussi bien que les bourgeois qui en auraient le moyen, nourrissent chacun le leur, afin d’empêcher la mendicité et le vagabondage. Le vingt-deuxième, que les curés et les prêtres ne manquent point de corriger par les censures ecclésiastiques ceux qui, retenant encore des restes du paganisme, offriraient des sacrifices à Janus au premier janvier, ou présenteraient des viandes au jour de la chaire de saint Pierre, ou feraient des cérémonies inconnues à l’Église auprès de certaines pierres, arbres ou fontaines. Saint Félix souscrivit à ces canons en ces termes : « Félix, pécheur, évêque de l’église de Nantes, j’ai consenti et j’ai souscrit ». Étant retourné dans son diocèse, il en fit la visite en commençant par sa métropole, pour les faire observer plus exactement. Il eut un soin particulier que le saint Sacrement fût placé sur tous les maîtres-autels avec beaucoup de décence et d’honneur. Désirant que personne ne se dispensât de secourir les pauvres, il en donna l’exemple le premier. Il choisit un bon nombre des plus misérables qu’il se chargea de faire subsister, et à qui il faisait donner tous les jours ce qui leur était nécessaire pour un honnête entretien. On s’empressa d’imiter une action si édifiante : l’ecclésiastique et le laïque, le gentilhomme et le bourgeois, le magistrat et l’homme privé, chacun, selon ses moyens, prit un ou plusieurs pauvres et contribua selon son pouvoir à les tirer de leurs pressantes né­cessités, de sorte qu’en peu de temps l’on ne vit plus de mendiants dans les rues de Nantes.

Il n’eut pas grande peine à établir le même ordre dans les autres lieux de son diocèse ; mais ce qu’il trouva plus difficile, ce fut de faire observer le vingt deuxième canon, surtout en certains villages, où les paysans, en embrassant le Christianisme, avaient néanmoins encore retenu beaucoup de superstitions du paganisme. Cependant, il s’appliqua avec tant de prudence et de vigueur à réformer cet abus, qu’il en vint heureusement à bout et qu’on se défit partout, au moins en public, de toutes les observances et des cérémonies que l’idolâtrie y avait introduites.

Sa charité, qui était sans bornes, ne put être renfermée dans l’enceinte de son diocèse ; il la répandit au dehors, en envoyant de l’argent pour racheter des prisonniers qui étaient entre les mains des Saxons. L’édifice de sa cathédrale étant achevé avec une magnificence et une beauté qui n’avaient point leur semblable dans aucune autre église de France, il en fît la dédicace en présence de plusieurs prélats. Saint Venance Fortunat, évêque de Poitiers, était du nombre : et c’est ce qui lui donna l’occasion de faire la description envers des ouvrages d’architecture, des riches tableaux, des vases sacrés d’or et d’argent, et des autres ornements qu’il vit dans ce superbe temple. Lorsqu’il fut dédié, saint Félix eut soin d’y faire célébrer avec beaucoup de solennité et de révérence les divins offices et le sacrifice au­guste de la messe, et d’y assembler souvent tout le peuple pour lui distribuer le pain de la parole de Dieu. Voici un autre trait du zèle que ce bienheureux prélat avait pour la sainteté de la maison de Dieu. Un jeune libertin, capitaine de la garnison française, lui ayant souvent demandé et fait demander sa nièce en mariage sans pouvoir rien obtenir, eut l’effronterie de l’enlever à la faveur de ses soldats, afin de l’épouser malgré lui ; et, pour éviter les poursuites de la justice, il se réfugia avec elle dans l’église de Saint-Alban. Le Saint n’ignorait pas la sainteté des asiles, pour qui les empereurs et les rois et surtout les pontifes et les évêques avaient toujours eu une souveraine vénération ; mais, sachant bien qu’ils étaient pour les criminels et non pour les crimes, et qu’ils ne devaient pas servir de retraite aux impies, pour commettre plus librement leurs sacrilèges, il entra lui- même courageusement dans cette église et lui arracha cette proie qu’il voulait immoler à sa passion au pied du sanctuaire.

Il serait à souhaiter que les auteurs qui vivaient de son temps nous eussent marqué plus en particulier les autres actes héroïques de vertu qu’il a pratiqués durant sa vie ; nous y verrions sans doute un exercice continuel de la foi, de l'espérance et de la charité, de l’humilité, de la pénitence, de l’austérité chrétienne et de toutes les autres vertus, qui composent l’homme parfaitement spirituel. Il eut sur la fin un démêlé avec saint Grégoire de Tours, qui aussitôt après sa promotion à ce siège archiépiscopal, s’offensa d’un service rendu par Félix à Riculphe, qui avait été son compétiteur, et lui écrivit à ce sujet des lettres fort aigres. Le zèle de saint Grégoire fut sans doute en cette circonstance un peu précipité. Il faut admirer la dou­ceur et la patience de Félix qui, malgré ces reproches, conserva toujours à son égard le respect et l’amour qu’il devait à sa dignité et à son mérite.

Enfin, dans une maladie contagieuse qui dépeupla presque toute la Bretagne, il fut lui-même cruellement attaqué ; il lui en demeura une fièvre et une langueur qui lui causèrent des douleurs extrêmement aiguës, et l’enlevèrent enfin de ce monde vers l’an 582, dans la soixante-dixième année de son âge. Son corps fut enterré avec de grands honneurs dans la superbe cathédrale qu’il avait fait bâtir, et plusieurs miracles firent dès lors connaître son mérite. Le nombre des guérisons qui se firent dans la suite à son tombeau, engagea un de ses successeurs à le lever de terre, et à le faire enfermer dans une châsse d’argent doré. Sa tête néanmoins fut séparée du reste du corps et mise dans un chef d’argent. On l’invoque particulièrement contre la peste, contre la guerre et contre la dislocation des membres.

La ville de Nantes ne conserve plus aucune relique de saint Félix depuis la révolution française. Aucune chapelle de la cathédrale n’est dédiée à ce saint évêque. Depuis 1857, la fête se fait double mineur, le 7 juillet, jour de la translation de ses reliques ; avant le XVIIe siècle, la fête de saint Félix était célébrée le 8 janvier, jour de sa bienheureuse mort.


Nous avons tiré cette vie, principalement des vers que le savant évêque de Poitiers, saint Venance Fortunat, a composés en son honneur, et de Notes locales fournies par M. J. Richard, vicaire général. — Cf. Vies des Saints de Bretagne, par Dom Loblueau.

 

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8 juillet



SAINT ÉVODE OU YVED,

ARCHEVÊQUE DE ROUEN

550. — Pape : Vigile. — Roi de France : Childebert  Ier

 

Pietas certissima vitæ norma est et conversationis optimæ

disciplina.

La piété est le guide le plus sûr de la vie et la meilleure règle

de conduite.

S. Joan. Chrys., hom. XII sup. I  Tim.

 

Avant que le pays que l’on nomme aujourd’hui Normandie fût occupé et érigé en duché par les nations venues du Nord, il était déjà très religieux et catholique ; il avait déjà ses évêchés, ses abbayes et ses paroisses, ses Saints, ses reliques et ses vases sacrés, et était connu sous le nom de Neustrie, une des plus florissantes provinces du christianisme. Rouen en était la capitale, non-seulement pour la puissance politique, mais aussi pour l’autorité ecclésiastique, et il est constant que cette ville avait eu dès lors des évêques très considérés par leur sainteté, par leur naissance et les grandes charges dont ils avaient été honorés dans l’État ; entre autres, saint Godard, saint Ouen et saint Ansbert. Saint Evode ou Yved n’a pas été des moins recommandables ; son père s’appelait Florentin et sa mère Céline. Florentin était un noble franc, issu de ces premiers capitaines qui avaient subjugué les Gaules et en avaient chassé les Romains. Sa valeur et sa piété répondaient parfaitement à sa noblesse, et il avait la crainte de Dieu si profondément imprimée dans le cœur, que rien n’était capable de le détourner de son devoir et de lui faire faire une injustice. Céline, qui ne lui cédait en rien pour la gloire de ses ancêtres, était aussi une femme de grande vertu, chaste, douce, modeste, charitable envers les pauvres et les misérables, et ennemie de tout dérèglement.

Notre Saint étant né d’une si bonne tige, vers la fin du règne de Clovis, donna aussitôt des marques de la sainteté à laquelle il devait un jour arriver. Il avait, dans un corps des plus beaux et des mieux faits qu’on pût voir, un esprit si pur, si éclairé et si porté au bien, qu’il était aisé de reconnaître que Dieu le destinait à lui rendre des services signalés dans son Eglise. Ayant été mis sous de bons précepteurs, il y fît en peu de temps de grands progrès. À mesure qu’il croissait en âge, on le voyait croître en sagesse, en science, en dévotion et en maturité de mœurs. Bien qu’il l’emportât dans les études sur ses compagnons, il ne leur causait pas néanmoins d’envie ni de jalousie, parce que sa prudence, son humilité et sa douceur les charmaient : ils ne pouvaient le regarder qu’avec beaucoup de respect, d’admi­ration et d’amour.

À l’âge de quinze ans, il témoigna à ses parents que les engagements du monde, et surtout ceux des armes et de la cour, lui paraissaient insupportables, et que son inclination le portait à l’état ecclésiastique. Ils avaient jeté leur vue ailleurs, ne doutant point qu’il ne devînt un grand homme de guerre ou d’État, s’il se donnait au service du prince ; mais, comme ils avaient la crainte de Dieu, et qu’ils regardaient sa volonté comme une règle inviolable de leurs actions, ils ne voulurent pas s’opposer aux mouvements qu’il mettait par sa grâce dans le cœur de leur fils. Il reçut donc la tonsure cléricale et se revêtit des habits propres à la condition qu’il avait choisie. Peu de temps après, il fut pourvu d’un canonicat dans l’église cathédrale de Rouen, où il se transporta en diligence pour s’acquitter des obligations de cette sainte profession. Sa beauté angélique, son port grave et majestueux, la gaîté et la sérénité de son visage, mais surtout son honnêteté, sa modestie et sa chasteté, lui concilièrent d’abord l’amitié de tout le monde. Il n’avait rien des légèretés ni des emportements de la jeunesse. On le voyait souvent dans les églises ; il assistait aux divins offices, tant de jour que de nuit, avec une ferveur et une présence d’esprit qui servaient d’exemple aux plus anciens de ce Chapitre. Il s’employait hors de ce temps à toutes sortes de bonnes œuvres, c’est-à-dire à l’étude des saintes lettres, à la méditation des vérités divines, au secours des pauvres et des affligés, à la visite des prisons et des hôpitaux, et à de pieux pèlerinages pour honorer les reliques et la mémoire des serviteurs de Dieu.

Pendant qu’il embaumait toute la ville de Rouen par une vie si pure et si édifiante, le siège de cette métropole vint à vaquer par la mort de Flavien, que quelques auteurs font le quinzième évêque. C’était alors le clergé et le peuple qui choisissaient leurs prélats, quoique l’agrément du roi fût nécessaire. L’élection en cette occasion ne fut point balancée : il n’y eut per­sonne, ni parmi les ecclésiastiques, ni parmi les laïques, qui ne demandât Yved pour pasteur ; tout le monde croyait que le bonheur du diocèse dé­pendait d’un choix si judicieux et si équitable. Clotaire Ier, qui régnait alors, consentit à cette élection, étant bien informé de la sagesse et de la fidélité du saint Chanoine[4]. On ne peut exprimer l’allégresse et les acclamations de joie de toute cette grande ville, lorsque le nouveau prélat y fît sa pre­mière entrée : les louanges qu’on lui donnait n’étaient pas étudiées, mais venaient du cœur filial que tous ses diocésains avaient pour lui. Sa conduite ne trompa pas leur attente. Il avait été un excellent chanoine, il fut encore un meilleur évêque. Sa nouvelle dignité lui servit d’aiguillon pour le porter avec plus de force que jamais à la pratique de toutes les vertus. Les grandes affaires, qui sont inséparables d’une prélature aussi considérable que celle d’archevêque de Rouen, ne l’empêchèrent pas de continuer son assiduité aux divins offices. Il redoubla même ses prières, ses aumônes, ses jeûnes et ses autres exercices de dévotion. Il ne manquait à rien de ce qu’on peut exiger d’un bon pasteur; il instruisait son peuple par ses prédications, il le consolait par ses visites, il le soulageait par ses charités, il le défendait par sa puissance, il lui obtenait les grâces et les bénédictions du ciel par ses larmes, et il le corrigeait par ses sages réprimandes : aussi il eut cette consolation d’avoir toujours des ouailles dociles, et de semer en une bonne terre, qui rendait avec avantage les fruits de ce qu’il y avait jeté par sa parole.

Dieu, à qui son humilité était souverainement agréable, rehaussa bientôt ses vertus par plusieurs miracles ; il donna la voix à un muet de naissance, en lui oignant la langue d’une goutte de saint chrême, et en faisant sur lui le signe de la croix. Un incendie menaçant toute la ville d’un embrasement général, parce que les maisons n’étaient que de bois, il l’arrêta soudain par sa prière et par un autre signe de croix : ce qu’il ne put tenir secret, parce qu’à l’instant même où il étendit la main, on vit la flamme s’éteindre et se changer en une épaisse fumée. Il était si redoutable au démon, qu’il le chassait des corps des possédés par sa seule bénédiction, et sans qu’il lui fût besoin d’imposer ses mains sur leur tête. Quelquefois même il a contraint cet esprit infernal de les abandonner, en imprimant sur eux ce signe salutaire avec la pointe de son bâton pastoral. Tout ce qu’il avait porté ou touché devenait miraculeux et opérait des guérisons surnaturelles : la paille même qu’on tirait de son lit a souvent rétabli en santé toutes sortes de malades. Il faisait abondamment l’aumône aux pauvres ; mais, si peu qu’il leur donnât, cela leur profitait beaucoup plus que ce qu’ils recevaient de la charité des autres personnes, parce que cela se multipliait divinement dans leurs bourses ou dans leurs besaces, pour leur faire connaître le mérite et la sainteté de leur aumônier.

Bien que ce grand homme fût désiré dans tous les endroits de la France, où sa réputation se répandit en peu de temps, il ne sortait pas néanmoins de son diocèse, étant bien persuadé que la résidence est nécessaire au pasteur pour connaître ses brebis et pour apporter un remède convenable à leurs besoins. Mais, comme son troupeau n’était pas tout renfermé dans Rouen, et qu’il avait grand nombre d’ouailles dans les paroisses de la campagne et des autres villes, il s’acquittait fidèlement de l’obligation d’y faire ses visites, sans s’en reposer sur ses grands vicaires et ses archidiacres, et son soin, dans cette fonction, n’était pas seulement de réformer les curés et les prêtres et de corriger les abus qui se peuvent glisser dans leur minis­tère; mais aussi d’instruire les pauvres paysans, d’insinuer la piété dans les esprits les plus bornés, de les exhorter à la pénitence et à la bonne vie, de leur conférer le sacrement de Confirmation, de les consoler, fortifier et soulager dans leurs maux, tant corporels que spirituels.

Ce fut dans ce travail qu’il trouva la fin de sa vie : car s’étant transporté à Andelys, à sept lieues de Rouen, il y tomba malade d’une fièvre, et prévit qu’il allait passer de cette vie à une meilleure. Les principaux du clergé de Rouen en étant avertis, le vinrent trouver pour avoir le bonheur d’entendre ses dernières instructions. Il reçut les Sacrements en leur présence, et, les ayant fait approcher de son lit, avec les hommes du peuple qui purent avoir place dans la chambre, il leur fît une exhortation toute paternelle et leur expliqua combien il est important de prévenir le moment de la mort par une sérieuse pénitence et par une vie digne de l’auguste qualité de chré­tiens et d’enfants de Dieu. Après ce dernier témoignage de son amour, il rendit paisiblement son esprit à Notre-Seigneur, pour en recevoir la récompense de ses travaux et de sa fidèle administration : ce qui arriva le 8 juillet 550, selon que le raconte Farin, prieur de Notre-Dame du Val, en sa Normandie chrétienne. Il dit qu’il avait été quinze ans évêque, ayant succédé à Flavien dès l’année 535 ; mais, comme Flavien a souscrit au quatrième concile d’Orléans, tenu seulement en 541, on ne peut mettre avant ce temps l’élection de saint Yved, et il faut nécessairement ou qu’il ait été moins de quinze ans évêque, ou qu’il ait passé 550 : ce qui n’est pas hors de raison, pourvu qu’on ne l’avance pas jusqu’en l’année 557, époque à laquelle saint Prétextât, son successeur, souscrivit au troisième concile de Paris.

Le moine de Saint-Evroult fait de saint Evode un très-bel éloge en disant que ce pieux évêque s’est rendu considérable par son éloquence et par son courage ; par la pureté de ses mœurs ; par sa prudence, par sa piété et par sa modestie : Eloquiis plenus sanctus successit Evodius Fortis et innocens, prudens, pius atque modestus.

Le corps de notre bienheureux Prélat fut reporté avec beaucoup de solennité à Rouen, pour y être inhumé dans sa cathédrale. À son entrée, les portes de la prison publique s’ouvrirent, et trente criminels, dont les fers se rompirent miraculeusement, furent délivrés. Il se fit aussi d’autres miracles dans l’église : on remarqua que quatre aveugles et dix-huit boiteux furent guéris.

 

 

CULTE ET RELIQUES.

Sous la seconde race de nos rois, les Normands étant descendus dans le pays de Neustrie, et ne pardonnant ni aux hommes vivants, ni aux sépulcres des morts, ni aux reliques des plus grands serviteurs de Dieu, dont ils n’avaient pas encore embrassé la religion, les dépouilles sacrées de saint Yved furent sauvées de leurs mains et transférées en la ville de Braisne, sur la rivière de Vesle, au diocèse de Soissons. Elles furent déposées dans la collégiale du château. Plus tard, en 1130, André de Baudiment, devenu seigneur de Braisne, et sa femme, Agnès de Champagne, résolurent de bâtir, pour renfermer le corps de saint Yved, un sanctuaire plus vaste et plus majestueux.

En 1153, on érigea une confrérie de saint Yved, composée des plus notables bourgeois du pays. Eux seuls étaient en possession de descendre la châsse du Saint. En 1844, Mgr de Simony, évêque de Soissons, a rétabli cette confrérie.

L’église de Saint-Yved, fermée pendant la révolution, fut sur le point d’être démolie. Restaurée en 1828, elle ne fut rendue au culte qu’en 1837. Depuis le milieu du IXe siècle jusqu’à la révolution française, et depuis la révolution jusqu' à aujourd’hui, les reliques de saint Yved ou Evode sont toujours restées à Braisne. L’église actuelle, commencée en 1180 et achevée en 1216, n’a été construite que pour y déposer plus honorablement le corps de saint Yved ou Evode ; et en effet, en cette même année 1216 l’archevêque de Reims, Albéric, et Haymard de Provins, évêque de Soissons, transportèrent solennellement, de l’ancienne église dans la nouvelle, le coffre renfermant le corps de saint Yved. — En 1244, Gérard, abbé du monastère de Braisne, mit le corps dans une nouvelle châsse, en présence de l’évêque de Soissons, Raoul, et de l’évêque de Laon, Garnier. — Sa vénération pour cette sainte relique était si grande, que l’église, quoique dédiée à la vierge Marie, fut dès lors appelée l’église de Saint- Yved. — En 1650, l’édifice sacré fut envahi par des gens de guerre ; mais ils respectèrent la châsse du bienheureux Archevêque de Rouen. D. Martène a assisté, en 1718, à la procession où la châsse de saint Yved était portée. Hugo, abbé d’Estival, atteste, en 1734, qu’on révérait à Braisne le corps de saint Yved. Plusieurs vieillards existant encore à Braisne attestent avoir toujours vu, avant la révolution, cette châsse vénérée de tous les fidèles. — C’était un chef-d’œuvre de sculpture et d’orfèvrerie. Elle était en argent doré, longue d’un mètre soixante centimètres, et surmontée d’un élégant clocheton. Les parois étaient divisées en petites niches, garnies chacune de statuettes en vermeil. Dans la niche du milieu était la statuette de saint Yved. Cette châsse était placée au fond de l’abside et au-dessus du maître-autel. C’est là que les révolutionnaires vinrent la prendre pour la traîner dans les rues de Braisne. Ils la brisèrent sous une grande porte, à l’angle de la rue du Martroy, et les débris furent envoyés à la Monnaie. Plusieurs fidèles s’empressèrent de recueillir rapidement quelques-uns des saints ossements et les remirent à l’abbé Maugras, remplissant alors les fondions de curé. M. Maugras les transmit à M. Sober, le premier curé-doyen de Braisne après le Concordat. Son successeur, M. Petit de Reimpré, après une sérieuse enquête, en fit reconnaître l’authenticité par M. Leblanc de Beaulieu, évêque de Soissons (1813), qui appela un médecin pour dénommer les ossements conservés. Le prélat eu prit une portion pour sa cathédrale où elles font partie du trésor de l’église. — Les 16 et 17 octobre 1865, l’archevêque de Rouen, cardinal de Bonnechose, après s’être fait précéder par deux magnifiques châsses que l’église métropolitaine de Rouen offrait à l’église de Braisne, vint recevoir solennellement la portion des reliques de saint Yved ou Evode dont l’évêque de Soissons et le curé de Braisne consentaient à se dessaisir, c’est-à-dire un os iliaque, un fémur entier, les deux tiers d’un humérus et deux fragments du crâne. — L’église de Braisne garde encore de saint Yved un fragment d’humérus, un fémur entier, un os iliaque entier, deux morceaux du crâne et cinq osselets des mains et des pieds.


Acta Sanctorum ; Notes fournies par M. Henri Congnet, doyen du chapitre de la cathédrale de Soissons.

 

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9 juillet


SAINTE PROGULE, VIERGE & MARTYRE,

PATRONNE DE GANNAT, AU DIOCÈSE DE MOULINS

XIe ou XIIe siècle.

 

Omnis qui reliquerit patrem aut matrem propter nomen meum, centuplum accipiet et vitam aeternam possidebit.

Celui qui pour plaire à Dieu quitte son père et sa mère de la terre, recevra le centuple en ce monde et la vie éternelle en l’autre.

Matth., xix, 29.

 

 

Sainte Procule, fille unique d’une des plus illustres familles du Rouergue, naquit à Rodez. Dès sa plus tendre enfance, Dieu sembla la prédestiner visiblement à une haute sainteté ; car, semblable en cela à quelques autres saints, le mardi et le jeudi de chaque semaine, elle ne suçait le lait de sa mère qu’une seule fois le jour. Ainsi, dans un âge où les enfants ne suivent que l’instinct de la nature, elle obéissait déjà aux mouvements de la grâce.

Prévenue de si bonne heure des bénédictions du ciel, à peine put-elle connaître son Dieu qu’elle se consacra entièrement à son service. Quoique née et élevée au ·milieu du luxe et des grandeurs, elle n’y attacha point son cœur ; elle ne montra que de l’éloignement et du dégoût pour les amusements frivoles et les fêtes profanes. Elle visitait souvent les églises et ne paraissait en public que quand la nécessité ou la bienséance l’y obligeait ; alors elle montrait une modestie si aimable, un tact si délicat, une urbanité si chrétienne, que tous en étaient saisis d’admiration.

Elle était douée de tous les dons qui pouvaient la rendre agréable aux hommes. Son esprit vif et pénétrant, son naturel doux, affable et bienfaisant, sa piété surtout qui donnait une forme si aimable à ces qualités naturelles, et enfin sa beauté remarquable, qui n’était que le reflet de son âme, faisaient de la jeune Procule un objet d’estime et d’admiration pour tous ceux qui la voyaient.

Mais Dieu avait formé ce cœur pour se le réserver à lui seul ; le monde n’en était pas digne, et Procule, poussée par la grâce de l’Esprit-Saint, avait de bonne heure consacré et voué sa virginité à l’Époux céleste, à l’Agneau sans tache ; elle lui avait donné son cœur tout entier.

Ses parents, chrétiens d’ailleurs, mais imbus des maximes du monde, avaient d’autres vues sur elle ; ils ne possédaient que cette fille pour héritière de leur nom illustre et de leurs grands biens ; en elle résidaient leurs espérances mondaines. Aussi suivirent-ils d’un œil inquiet ses progrès dans la sainteté ; ils avaient déjà quelques pressentiments ; mais ils se rassu­raient à cause de sa grande jeunesse et de sa parfaite obéissance. Ils ne connaissaient pas encore la généreuse fermeté de son cœur.

Dès qu’elle eut atteint l’âge de seize ou dix-sept ans, ils songèrent à lui chercher un époux qui fût digne d’elle et des grands biens dont elle devait être l’unique héritière. Ils crurent avoir trouvé ce qu’ils désiraient dans la personne d’un jeune et riche seigneur, nommé Géraud, qui, charmé des qualités de Procule, aspirait à devenir son époux. Les parents de la Sainte s'empressèrent de faire connaître à leur fille ce désir et ce choix de leur cœur. Procule leur répondit avec beaucoup de respect et de douceur, mais avec une fermeté qu’on ne lui connaissait pas, qu’elle avait déjà disposé de ses affections, et que Jésus-Christ seul était le roi de son cœur et seul serait son époux pour l’éternité.

Ses parents, fort surpris d’une réponse si peu attendue, employèrent tout ce que leur amour leur suggéra de plus propre à ébranler sa constance : ils n’épargnèrent ni les larmes, ni les caresses, ni même les menaces, pour la faire changer de dessein ; mais tous leurs efforts furent inutiles.

Quand la Sainte se fut retirée dans son appartement, elle s’empressa de se jeter à genoux pour renouveler à son divin Époux l’engagement qu’elle avait déjà pris, et pour lui demander la force de surmonter les obstacles qui menaçaient de la séparer de lui. Jésus-Christ, qui aime tant le don des cœurs purs et qui veut bien être l’époux des âmes chastes, fut touché de tant d’amour et de générosité. Il voulut à son tour honorer la Sainte de ses faveurs et lui accorder un témoignage sensible de l’acceptation de son cœur. Il lui envoya donc, par le ministère de l’ange Gabriel, une bague d’or pour gage de son amour et de la sainte alliance qu’il contractait avec elle. Sainte Procule fut tellement fortifiée par cette glorieuse marque de l’amour de son céleste Époux, qu’elle ne craignit plus de soutenir les plus rudes com­bats pour lui garder sa fidélité.

L’occasion ne tarda pas à s’en présenter. Les parents de la Sainte, obstinés dans leur dessein, après avoir passé quelque temps sans lui parler de mariage, résolurent de briser sa résistance en lui faisant une violence subite. Ils la fiancèrent malgré elle à Géraud, et fixèrent l’époque de la cérémonie des noces. Procule, ferme dans sa résolution et confiante dans son fidèle époux, attendait sans crainte le jour redoutable.

Il arriva, et, dès le matin, tout était disposé pour la fête avec la pompe et la magnificence qui convenait à une famille de ce rang. Les amis de la maison étaient venus assister à cette brillante cérémonie, et le fiancé Géraud était déjà arrivé, suivi d’un train magnifique : il attendait, avec tous les invités, Procule sa fiancée, qui seule manquait, pour commencer la cérémonie.

Pendant ce temps, Procule, retirée seule dans son appartement, se jeta aux pieds de son divin Jésus, et le pria instamment de la protéger dans une conjoncture si périlleuse, et de lui faire connaître ce qu’elle devait faire. Elle entendit alors une voix qui lui adressa les mêmes paroles que Dieu avait adressées à Abraham : « Sortez de votre famille et de votre pays, et venez dans la terre que je vous montrerai ».

Aussitôt elle se relève, pleine de force et de courage, quitte les vête­ments somptueux dont on l’avait parée, et se revêt de méchants habits pour mieux cacher sa fuite, et pour se rendre plus conforme à la pauvreté de son céleste Époux. Sous ce déguisement, elle sort furtivement de la maison de ses parents, et s’enfuit dans les bois et dans les montagnes, sans autre guide que l’ange gardien qui l’accompagne.

Elle traverse ainsi tout le pays très-montagneux qui sépare le Rouergue de l’Auvergne ; rien ne l’arrête, ni les rochers, ni les précipices, ni les forêts sombres. Elle traverse encore l’Auvergne entière, échappe à tous les dangers, surmonte toutes les fatigues auxquelles elle était si peu accou­tumée ; mais l’amour de son Dieu lui donne de la force et des ailes, et la protège contre tous les périls.

Elle arriva jusque dans le Bourbonnais, à un quart de lieue de la petite ville de Gannat. Là elle s’arrêta devant ce site pittoresque et désert : au fond, le ruisseau limpide d’Andelot, dominé par deux collines gracieuses, et à leur pied, un rocher dans lequel elle découvrit une petite caverne. La Sainte, fatiguée de son voyage, s’établit dans cette caverne pour se reposer, et pour s’entretenir dans la solitude avec son céleste Époux, en attendant qu’il disposât d’elle comme il voudrait.

Géraud et toute l’assistance étaient dans une impatience extrême de voir commencer la solennité des noces ; on n’attendait plus que la fiancée. Enfin, on envoya une servante de la maison pour amener la reine de la fête ; elle trouva l’appartement désert et la robe de noce jetée à terre. Elle revint aussitôt, pour faire part de cette triste nouvelle, et, à la vue des habits de fête que Procule avait laissés, on ne douta plus de son déguisement et de sa fuite. Toute la maison fut alors remplie de confusion, de bruit et de trouble ; les préparatifs de la fête brillante accrurent encore la déception universelle. Le père de Procule, consterné tout d’abord, entra bientôt dans une violente colère ; il fit quelques excuses à Géraud, lui permit, le pria même de chercher la fugitive, non plus pour lui offrir une alliance dont elle s’était rendue indigne, mais pour la châtier, comme elle méritait ; et, dans l’emportement de sa fureur, il lui céda tous ses droits de père et lui recommanda même de ne pas épargner la vie de Procule, si, après l’avoir trouvée, il ne pouvait la ramener. Géraud, plus irrité qu’aucun autre, et de son amour méprisé, et de son orgueil blessé, s’élança avec ardeur à la poursuite de la fugitive. Il erra quelque temps, comme au hasard, mais il finit par découvrir les traces de celle qu’il recherchait, et, d’indications en indications, il réussit à suivre lentement, mais sûrement, celle qui ne pouvait plus désormais lui échapper. Il traversa ainsi l’Auvergne et vint dans le Bourbonnais, jusque près de la retraite de sainte Procule, qui se croyait en sûreté. Non loin de là, il rencontra des bergers qui gardaient leurs troupeaux, et il leur demanda s’ils n’avaient point vu une étrangère dont il leur dépeignit le portrait. Les bergers répondirent qu’ils l’avaient vue ; mais soupçonnant quelque mauvais dessein de la part de ce jeune seigneur, ils refusèrent de trahir la retraite de celle qu’ils vénéraient déjà comme une sainte. Géraud fit alors briller à leurs yeux l’appât d’une riche récompense, en les assurant que son dessein était de la ramener chez ses parents, d’où elle s’était échappée. Les bergers, éblouis et vaincus, livrèrent leur secret et découvrirent la retraite de la Sainte. Géraud s’avança vers elle ; à sa vue, il retrouva toute la vivacité de sa passion, et entreprit de la ramener par les moyens de la douceur et de la persuasion. Celle-ci, après le premier moment de surprise, demeura inflexible dans sa résolution et ne fit à toutes les instances de Géraud que cette ferme réponse : « Je ne reconnaîtrai jamais que Jésus-Christ pour mon époux, et je lui serai fidèle jusqu’à l’effusion de mon sang, s’il le faut ». Ce refus changea la modération de Géraud en une rage violente et une haine insensée ; il se rapproche vivement de sa victime, afin d’exercer sur elle l’autorité dont le père l’avait investi, et de l’emmener de force ou de la faire mourir. Procule prend aussitôt la fuite, et, pour éviter son persécuteur qui lui ferme le chemin, elle passe à travers des rochers inaccessibles, qui, semblant vouloir lui livrer passage, se ramollissent sous son poids, et gardent encore l’empreinte de ses doigts et de ses genoux.

Son bourreau, plus insensible et plus dur que les rochers eux-mêmes, s’élance à sa poursuite et l’atteint à cent pas de la ville de Gannat. Là, il lui réitère ses ordres ; la Sainte persiste dans sa résolution, et Géraud, exaspéré par une telle résistance, tire son épée et lui dit : « Procule, vous n’êtes pas moins indigne de la vie que de mon alliance ; vous n’avez pas voulu de moi pour époux, vous m’aurez pour bourreau ». La Sainte, à ces mots, tombe à genoux, fait le signe de la croix, prononce le nom de Jésus, son divin Époux, en lui offrant son cœur et sa vie ; et sa tête roule sous le glaive du meurtrier. Mais, ô prodige ! la vierge se relève, comme si elle eût été pleine de vie ; elle prend sa tête entre ses bras, et marche d'un pas assuré vers la ville de Gannat qui était toute voisine. À la vue d’un miracle si étonnant, Géraud, éclairé par la grâce, se prosterna aux pieds de la Sainte, pour implorer son pardon. La Sainte, s’arrêtant alors, se tourna vers son bourreau tout baigné des larmes du repentir, et, par un nouveau miracle, l’assura en quelques paroles de son pardon le plus généreux ; puis elle reprit sa marche vers la ville. Géraud persévéra dans sa conversion ; afin d’expier son crime, il passa le reste de ses jours dans une solitude, menant la vie d’anachorète, et, après avoir pratiqué les vertus les plus admirables, il mourut en odeur de sainteté, et fut même honoré comme Saint.

Sainte Procule, arrivée à Gannat, traversa plusieurs rues, à la stupéfaction des habitants. Plusieurs d’entre eux lui jetèrent mille insultes, la traitant de sorcière, et attribuant à l’action du démon un prodige si surprenant. Ils portèrent la peine de leur impiété ; les uns furent affligés de maladies incurables ; les autres, réduits à une extrême indigence, après avoir possédé de grands biens ; les autres furent privés de sépulture après une mort violente ou honteuse. Sainte Procule arriva ainsi jusqu’à l’église de Sainte-Groix, et alla se prosterner au pied d’un autel, où un prêtre, nommé Paul, célébrait le saint sacrifice. On la vit à genoux, tenant entre ses mains sa tête tranchée et sanglante, et l’offrant à Jésus-Christ, comme un témoignage suprême de sa fidélité et une preuve éclatante de son amour ; puis, ses mains défaillantes laissèrent échapper sa tête, et son corps s’affaissa sur lui-même pour ne plus se relever. Les prêtres s’étant assemblés, délibérèrent au sujet de la sépulture dont il fallait honorer de si saintes reliques ; ils députèrent deux des plus anciens d’entre eux à Clermont, pour donner avis à l’évêque de ce qui s’était passé.  À cette nouvelle, le prélat, accompagné de son archidiacre et des principaux de son clergé, se rendit à Gannat, pour célébrer en personne les obsèques de la sainte Martyre. Le bruit de ces prodiges si extraordinaires, se répandit promptement dans le pays, et une prodigieuse affluence de peuple se pressa pour assister à la cérémonie, et pour vénérer le corps de la Sainte, qui fut ensuite inhumé près du grand autel de l’église de Sainte- Croix.

 

CULTE ET RELIQUES. — PÈLERINAGE.

Le tombeau de sainte Procule devint bientôt célèbre ; il fut le but du pèlerinage d’une multitude de fidèles qui venaient le vénérer et lui demander de nombreuses guérisons. Les miracles qui s’y opérèrent y attirèrent encore plus d’affluence, et l’évêque de Clermont se vit obligé de faire la translation de ces saintes reliques. Il se rendit donc à Gannat, accompagné d’un nombreux clergé, enferma le corps de la Sainte dans une châsse de bois enveloppée d’une étoffe rouge, et la plaça sur l’autel. Les miracles s'y multiplièrent encore tellement, et les habitants de Gannat en reçurent des bien faits si signalés, que la reconnaissance les obligea d'opérer une seconde translation de ces reliques si précieuses dans une magnifique châsse d’argent, afin qu’elles fussent mieux honorées Cette cérémonie se fit sous l’épiscopat de Joachim d’Estaing, évêque de Clermont. Le bruit des miracles nombreux opérés par sainte Procule se répandit jusqu’à Rodez qui avait été sa patrie. Les habitants de cette ville, désireux de rendre à leur sainte compatriote un culte plus particulier, et de s’attirer ses faveurs spéciales, conçurent le dessein d’acquérir une relique insigne de cette sainte Martyre. Les religieux et les prêtres de la fraternité de Saint-Amans, présidés par Antoine Monmaton, curé de cette église, députèrent, le 17 juillet 1673, deux prêtres de leur société, pour présenter au curé et aux prêtres de Sainte-Croix de Gannat une pétition leur demandant une relique insigne de leur glorieuse patronne, et leur offrant en échange une relique de saint Naamas, l’os du fémur. Les deux députés se rendirent à Gannat, le 7 août, et présentèrent leur requête qui fut agréée du clergé. On fit l’ouverture de la châsse d’argent et on en retira un os du bras, le cubitus qu’on mit dans une boîte scellée, et tout le peuple avec le clergé accompagna processionnellement la relique jusque hors de la ville, avec les témoignages du respect dû à une sainte si illustre. Lorsqu’on fut prévenu, à Rodez, de l’arrivée de cette relique, une foule de peuple précédée du clergé, de tous les corps religieux et de toutes les corporations civiles, ainsi que de toutes les musiques, s’avança à plus d’une lieue hors de la ville, pour recevoir avec honneur un trésor si vénérable et si précieux. Une partie de cette relique se perdit pendant la Révolution ; ce qu’on put en sauver a été depuis partagé avec la cathédrale.

Les habitants de Gannat, pleins de vénération et de reconnaissance pour leur bienfaisante patronne, élevèrent une chapelle à l’endroit où sainte Procule s’était arrêtée, à son arrivée dans le pays ; elle fut nommée le Pas de sainte Procule·, ils en construisirent une autre au lieu où elle avait subi le martyre. De plus ils établirent en l’honneur de leur Sainte deux confréries qui furent longtemps florissantes, et ne contribuèrent pas peu à entretenir la ferveur de la piété dans les âmes. L’église de Saint-Amans a une chapelle ornée d’un vitrail, dédiée à sainte Procule ; cette sainte est l’une des principales patronnes de la congrégation des jeunes personnes, et sa fête se célèbre chaque année avec une solennité particulière. Le diocèse de Rodez célèbre son martyre le 3 septembre ; la ville de Gannat, le 13 octobre, et la translation de ses reliques, le 9 juillet. Les miracles que sainte Procule a opérés sont innombrables ; ils ont attiré à Gannat un grand concours de pèlerins. Les reliques de sainte Procule y furent religieusement conservées jusqu’au moment où l’ouragan révolutionnaire souffla sur elles et les dispersa sans retour. Toutefois, quand après la tempête revinrent des jours calmes et sereins, la ville de Rodez, qui avait obtenu de la ville de Gannat une relique insigne de sainte Procule, fit don, à son tour, d’un fragment de cette relique à la piété toujours subsistante des habitants de Gannat. On la conserve encore de nos jours dans la chapelle de Sainte-Procule, et chaque année, les jeunes filles de la ville, vêtues de robes blanches et ceintes de cordelières couleur de pourpre, afin de rappeler, par ce double symbole, la pureté et le martyre de sainte Procule, se font un honneur de la porter en triomphe à la procession qui se fait, autour de la ville de Gannat, le jour de sa fête. Cette fête primitivement fixée au 12 octobre, se célèbre maintenant dans tout le diocèse de Moulins, le 9 juillet de chaque année. A Gannat, lorsque le 9 juillet n’est point un dimanche, la fête solennelle est renvoyée au dimanche suivant.


Nous avons extrait cette biographie des Saints du Rouergue, par M. l’abbé Servières, et de la Vie de sainte Procule, par M. l’abbé Corail, prêtre du diocèse de Moulins.

 

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10juillet


SAINT PASQUAIRE OU PASQUIER,

ÉVÊQUE DE NANTES

VIIIe siècle.

 

Un chrétien qui possède le véritable zèle ne prend pas ombrage des succès des autres : Il est loin de les voir d'un œil de jalousie, parce qu'il sait que la charité le rend participant des succès qu’ils obtiennent et des mérites qu'ils acquièrent.

Dom Lobineau, Éloge de saint Pasquaire.

 

Pasquaire naquit à Nantes, de parents distingués par leur rang et leurs richesses. Ayant reçu une bonne éducation et s’étant pénétré de l’importance du salut, il renonça au monde, qui lui offrait cependant des avantages temporels, mais au milieu duquel il est si aisé de se perdre, et se con­sacra au Seigneur, en embrassant l’état ecclésiastique. Son mérite le fit choisir pour remplir le siège de Nantes, après la mort de l’évêque Harco, qui l’occupait, et qui n’est connu que de nom. Les Saints, pénétrés des maximes de l’Évangile dont l’humilité est une des principales, ont toujours fui l’élévation et les honneurs ; aussi Pasquaire réclama-t-il fortement contre son élection, et ne se soumit-il à recevoir la consécration épiscopale que lorsqu’il vit clairement que telle était la volonté de Dieu. Connaissant toute l’importance de la charge pastorale et l’étendue des devoirs qu’elle impose, il s’acquitta de ses obligations avec l’exactitude et le zèle d’un homme animé de l’esprit de Dieu. Il s’appliqua surtout à bien régler son clergé, à instruire son peuple et à soulager les pauvres, auxquels il distribua tout son patrimoine, qui était considérable. Quoiqu’il s’adonnât tout entier au service du prochain et qu’il n’épargnât rien pour éclairer et sauver les âmes confiées à ses soins, il sentait néanmoins qu’il n’opérait pas tout le bien qu’il aurait voulu faire. Son désir était d’avoir de pieux coopérateurs qui eussent prêché autant par leurs exemples que par leurs discours, et dont la vie régulière et pénitente pût servir à tous de modèle. Parlant un jour à son troupeau des deux états qui se trouvent dans l’Église, c’est-à-dire le clergé et les simples fidèles, il les entretint aussi de l’état religieux et de la perfection à laquelle cette profession pouvait conduire, suivant le témoignage de Jésus-Christ. Son discours toucha tellement ses auditeurs qu’ils montrèrent tous le plus grand empressement à obtenir de ces hommes de Dieu, qui devaient les éclairer par leurs paroles et les édi­fier par leur sainte vie.

Voyant son peuple dans des dispositions si bienveillantes, Pasquaire envoya au monastère de Fontenelle, auprès de saint Lambert qui en était abbé, des personnes de confiance pour lui demander quelques-uns de ses religieux, afin de les établir dans le diocèse de Nantes. Répondant aux vœux du saint prélat, le vénérable abbé lui envoya douze de ses frères, à la tête desquels se trouvait le célèbre saint Hermeland. Ils arrivèrent bientôt à Nantes, et leur premier soin fut d’aller dans l’église de Saint-Pierre im­plorer le secours du ciel et en attirer les bénédictions sur leur entreprise. Informé de leur présence dans le lieu saint, Pasquaire, plein de joie, va les trouver, les reçoit comme des anges, et bénit Dieu de ce que, remplissant son désir le plus ardent, il donnait à son diocèse des hommes qui loueraient sans cesse sa divine majesté et l’aideraient à procurer le salut des âmes. Après avoir passé quelque temps avec eux dans des entretiens de piété, il les conduisit dans l’île d’Aindre, placée au milieu de la Loire et distante de Nantes de deux lieues. Il les y établit et leur accorda plusieurs privilèges. Les autres actions du saint pasteur ne nous sont pas connues ; mais son zèle pour la sanctification de son troupeau, et sa charité envers saint Hermeland et ses compagnons, sont autant de titres qui prouvent combien est fondé le culte que lui rend depuis longtemps son Eglise. Il mourut vers le commencement du VIIIe siècle, le 10 juillet, jour auquel il est honoré dans le diocèse de Nantes. Sa fête y était célébrée autrefois du rite double ; depuis 1790, elle n’est plus que du rite semi-double. On ne voit pas que son corps ait été jamais levé de terre, et l’on ignore où se trouve son tombeau.

 

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 11 juillet



SAINT SAVIN ET SAINT CYPRIEN,

MARTYRS AU DIOCÈSE DE POITIERS

Ve ou VIe siècle.

 

Sancti martyres Christi præsentem vitam non despicerent, nisi certiorem animarum vitam sequiscirent.

Les saints martyrs du Christ ne mépriseraient pas la vie présente s’ils n'étaient sûrs qu’une vie meilleure les attend au ciel.

Saint Grégoire le Grand.

 

 

Dans le cours du Ve siècle, deux frères, nés dans cette partie de la Gaule lyonnaise, qu’on a depuis appelée Bresse, quittèrent leur pays et leur fa­mille qui y tenait une position élevée, pour répandre au loin, par un apos­tolat volontaire, la connaissance et l’amour de Jésus-Christ. Savin, l’aîné, était prêtre, selon toutes les apparences ; car leurs actes nous les montrent accompagnés dans leur pieux pèlerinage de deux autres prêtres, nommés Asclépins et Valère. Après s’être arrêtés en plusieurs provinces, ils arri­vèrent dans le Poitou et y continuèrent leurs prédications. C’était le temps où l’Eglise, délivrée dans la Gaule du poison de l’aria­nisme, respirait sur le tombeau de saint Hilaire après des combats longs et animés. Cependant l’erreur ne laissait pas d’apparaître dans le Poitou avec les hordes barbares qui possédaient l’Aquitaine : les Visigoths y étaient les maîtres, et cette contrée surtout avait à supporter leurs brutales exactions.

Arrivés dans cette partie du haut Poitou où la Gartempe se jette dans la Creuse, les deux jeunes gens trouvèrent le pays occupé par quelques détachements de ces barbares. La foi de la Trinité qu’ils prêchaient déplut aux farouches ennemis de cet adorable mystère : ils poursuivirent les deux Saints, qui se virent ainsi forcés de se séparer pour leur échapper plus faci­lement à travers les bois dont le pays était couvert. Mais Dieu permit qu’un même sort les réunît bientôt dans un séjour que personne ne pourrait leur ravir. Savin s’était réfugié dans une petite île de la Gartempe, nommée le Gué-de-Sceaux, entre la ville actuelle de Saint-Savin et Antigny (Vienne). Il y exerçait déjà son zèle charitable envers quelques pauvres âmes qui écou­taient ses instructions quand il y fut découvert, tout près d’un lieu appelé alors Le Cerisier. Ses persécuteurs le saisirent, et, pour le forcer de renoncer à Jésus-Christ, lui firent subir de cruels tourments. Les fouets, le chevalet, les peignes de fer exercèrent tour à tour sa constance ; mais la douleur ne put vaincre cet intrépide soldat de Jésus-Christ : il oubliait son supplice pour exhorter ses bourreaux à se convertir, et ceux-ci ne purent lui imposer silence qu’en lui coupant la tête sur le lieu même de son généreux combat.

Cyprien avait pu gagner Antigny, mais il n’y fut pas longtemps en sû­reté. Des hommes ardents à sa poursuite s’étaient élancés sur ses traces et l’y rejoignirent. Pressé de renoncer à Jésus-Christ, au nom de sa jeunesse que ces barbares semblaient vouloir respecter, le jeune homme repoussa avec horreur cette indigne apostasie, et mourut de la mort de son frère.

Les deux prêtres, qui avaient été forcés de se séparer des deux Martyrs, ne les avaient pas perdus de vue, et se hâtèrent, la nuit suivante, de venir dérober leurs corps à la terre dont on les avait recouverts. Ils furent portés et ensevelis dans le même tombeau, aux Trois-Cyprès, maison de campagne du voisinage, qui occupait l’éminence connue aujourd’hui sous le nom de Mont Saint-Savin. Le nom des deux frères ne tarda pas à devenir célèbre dans la contrée, et étendit au loin la renommée de leurs miracles.

 

CULTE ET RELIQUES.

Charlemagne fonda, en 806, sur les bords de la Gartempe et près d’un lieu sanctifié par nos deux Martyrs, une magnifique abbaye. On y suivit la règle de Saint-Benoît jusqu’à sa destruction en 1791. Les miracles s’y continuèrent nombreux et éclatants, de telle sorte que Pépin 1er, roi d’Aqui­taine, qui avait sa cour à Poitiers, jaloux d’y posséder quelque chose de ces pieuses richesses, obtint des moines ce qui n’avait pas été accordé à d’autres églises des restes de saint Cyprien. Ils furent transportés à Poitiers en 828, au milieu de grandes pompes et d’une foule immense de peuple, qui était allé les chercher dans l’église abbatiale et qui les accompagna jusque dans la ca­pitale du Poitou.

Il y avait alors en dehors de la ville, et sur les bords du Clain, une petite église dédiée à Notre-Dame et à saint Martin : c’est là que les saints corps reçurent un nouvel asile, et qu’une église plus vaste et plus belle fut élevée sous l’invocation de saint Cyprien. Pépin y ajouta un monastère où furent placés des Bénédictins, et qu’il dota de terres et de revenus. Peu de temps après, en 846, les Normands vinrent assiéger Poitiers et renversèrent l’église et les bâtiments. Rebâtie dans les premières années du Xe siècle par l’évêque Frottier II, elle fut dédiée, en 936, à la sainte Vierge et au saint Martyr. Mais il semblait que les deux frères, que Dieu avait unis pendant leur vie d’une si sainte amitié, dont la mort avait été la même, qui avaient reposé près de quatre siècles dans le même tombeau, et qu’on n’avait enfin séparés que pour les honorer davantage, il semblait, disons-nous, qu’ils devaient se retrouver ensemble dans la dévotion de la grande cité. C’est pourquoi une église paroissiale y fut dédiée à saint Savin peu de temps après, et ne fut supprimée, comme l’abbaye de Saint-Cyprien, qu’aux jours malheureux où il fut donné à l’ennemi de Dieu de « prévaloir pour un temps contre son Eglise ». Elle devait recouvrer dans notre siècle sa première splendeur. L’église de Saint-Savin est aujourd’hui une basilique de deux cent quarante pieds de longueur, récemment restaurée par l’Etat et signalée comme le chef-d’œuvre du style roman, sans parler de ses fresques du XIIe siècle, qui en font un véritable musée, et ont une réputation presque européenne, de sa flèche qui est incontestablement aujourd’hui une des plus belles de France, et de ses inscriptions des XIe et XIIe siècles dont tous ses autels sont couverts. Les fresques de la crypte de cette basilique donnent, en peinture, l’histoire la plus complète de saint Savin.


Les matériaux de cette biographie nous ont été fournis par M. l’abbé Auber, qui a fait la Vie des Saints de Poitiers, et par M. le curé doyen de Saint-Savin.

 

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12juillet


SAINT VIVENTIOLE OU JUVENTIOLE,

MOINE DE CONDAT, AU DIOCÈSE DE SAINT-CLAUDE, 24e ARCHEVÊQUE DE LYON

524. — Pape : Jean Ier. — Rois des Francs : Clodomir et Thierry 1er.

 

Ille valde admirandus atque laudandus est cujus cursus multorum profectus est.

L’homme qu’il faut admirer et louer est celui dont la vie a été vraiment utile à ses semblables.

S. Eus. Emiss., hom. vii ad monachos.

 

Saint Viventiole fut tout à la fois l’ornement de l’état monastique et la gloire de l’épiscopat. On ignore le lieu et l’époque de sa naissance, mais il était un des moines les plus distingués de Condat (appelé aussi Grand-Saint- Claude et Saint-Oyend-de-Joux, Condatescense, Ordre de Saint-Benoît, diocèse de Saint-Claude), lorsque saint Oyend gouvernait ce monastère. Au commencement du vie siècle, ce saint abbé avait fondé à Condat une école qui devint une des plus célèbres des Gaules, et Viventiole fut chargé d’y enseigner les lettres. La fonction d’écolâtre était une des plus importantes du monastère. Viventiole possédait une science aussi variée que profonde. C’est le témoignage que lui rendait un des plus grands prélats de son siècle, saint Avite, évêque de Vienne, dont il avait su mériter l’estime et l’affection. Il composa de savants ouvrages que l’injure des temps a détruits, mais qui subsistaient encore trois siècles après lui, et qui faisaient dire à Agobard, un des plus grands évêques de Lyon : « Viventiole était célèbre par ses propres ouvrages et célébré par ceux des autres ».

Après la mort de saint Oyend, arrivée le 1er janvier 510, quelques troubles s’élevèrent dans le monastère de Condat, peut-être à cause de la nomination de son successeur. Viventiole, qui pouvait craindre que les suffrages ne se réunissent sur lui, choisit l’époque de l’élection pour entreprendre un voyage à Lyon. Il se trouvait en cette ville lorsqu’il reçut de saint Avite, évêque de Vienne, une lettre qui le remerciait d’une sellette de bois très- artistement travaillée. Saint Avite, en reconnaissance, lui souhaitait bientôt une chaire épiscopale, et l’exhortait à prendre le gouvernement du monastère de Saint-Oyend, pour se disposer à la plénitude du sacerdoce.

Ce souhait de saint Avite fut une sorte de prédiction. L’Eglise de Lyon ayant peu après perdu son évêque saint Etienne, Viventiole fut placé sur le siège de cette ville, vers l’an 514, et l’amitié qui l’unissait à Avite en devint encore plus étroite. C’était Avite qui l'avait lui-même choisi et désigné pour être évêque de Lyon. Saint Viventiole assista au concile d’Agaune, aujour­d’hui Saint-Maurice en Valais (Suisse), qui s’assembla, le 1er mai 516, par les soins de Sigismond, roi de Bourgogne, dans le monastère nouvellement bâti par ce prince. Il prononça, dans ce Synode, un discours qui nous a été conservé en grande partie, et qui atteste la connaissance profonde qu’avait le saint évêque des voies de Dieu et de la discipline monastique, et le zèle avec lequel il cherchait à éloigner des cloîtres l’ignorance et les moindres désordres.

De concert avec saint Avite, il convoqua le concile d’Epaone, qui s’as­sembla le 6 septembre 517. On y vit réunis vingt-quatre évêques de Bourgogne, au nombre desquels se trouvait Claude Ier, évêque de Besançon. On y fit quarante canons sur la discipline ecclésiastique et sur la règle des mœurs. Le trentième canon condamnait les mariages entre beau-frère et belle-sœur. Il s’appliquait à Étienne, intendant des finances du roi Sigismond, qui avait épousé Palladie, sœur de sa première femme. Sigismond prit la défense du coupable, mais la résistance des évêques ne put être vaincue, et dans un autre concile tenu à Lyon (518), par Viventiole, onze évêques confirmèrent le trentième canon d’Epaone. Sigismond exila les évêques, mais sans rien gagner, et ils revinrent dans leurs églises peu de temps après. Viventiole mourut à Lyon, en l’année 524, selon l’opinion la plus pro­bable. IL fut inhumé dans l’église des Apôtres, qui est devenue celle de Saint-Nizier, où l’on éleva dans la suite un autel sur son tombeau. Un an­cien manuscrit, découvert par Severt, historien de l’Eglise de Lyon, rap­porte une partie de l’inscription gravée sur le tombeau du saint évêque. On y lisait : « Notre pontife Viventiole, homme puissant par ses œuvres, re­pose dans ce tombeau. Il fut l’organe de l’Eglise, le prédicateur de la parole, l’honneur de ses frères, l’exemple des peuples, et sut remplir avec mérite tous les degrés du ministère.... Que parmi les fêtes des Saints de Lyon, ce jour de fête soit pour vous un des plus solennels. Père bon, couronne de tous les évêques, sois propice à nos prières, et souviens-toi de nous qui t’invoquons ».

Extrait de la Vie des Saints de Franche-Comté et du Gallia Christiana nova.

 

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13juillet


SAINTE MAURE ET SAINTE BRIGIDE,

VIERGES ET MARTYRES, AU DIOCÈSE DE BEAUVAIS

Ve siècle.

Tu qui calcasti mundum, ut calcato eo gradum tibi quemdam ascendendi ad coelum faceres, mundi gloriam ne requiras.

Vous qui avez foulé aux pieds le monde, afin de vous en faire un marchepied pour monter au ciel, ne recherchez pas la gloire du monde.

S. Jérôme, Ep. 1 ad Dem.

 

La dévotion de la ville et du diocèse de Beauvais envers ces saintes Vierges, et les grâces extraordinaires que l’on reçoit par leur intercession, nous invitent à donner ici un abrégé de leur vie. Leur histoire dit qu’elles étaient sœurs jumelles, filles d’Ella, roi d’Écosse et de Northumberland, et de Pantilémone, sa femme. À leur naissance, la peste, qui dépeuplait l’Ecosse, fut heureusement éteinte ; Maure, qui était l’aînée, parla au moment de son baptême, pour déclarer que sa mère, qui était morte en don­nant le jour à ces deux filles, jouissait déjà de la vie éternelle, et Brigide, qui était la cadette, sortit des fonts de baptême tout environnée de lumières. Elles ne purent avoir toutes deux qu’une même nourrice : celle qu’on avait donnée à Brigide ayant perdu son lait, la petite n’en voulut point prendre d’autre que celui que prenait sa sœur ; enfin leur nourrice n’ayant du lait que d’un côté, elles sucèrent toutes deux une même mamelle.

Le lieu de leur éducation fut le château d’Édimbourg, capitale du royaume d’Ecosse, dans le comté de Lothiane. Quelques auteurs ont écrit que c’est pour cela que ce château a été appelé Agnètes ou le château des Pucelles. À l’âge de treize ans, Notre-Seigneur les ayant invitées à être ses épouses, elles firent ensemble vœu de virginité : elles y persistèrent si courageusement, que le roi, leur père, leur offrant des partis très-avantageux qui devaient les rendre souveraines, et les mettre dans la jouissance de tout ce que la vie présente a de charmant et de délicieux, elles répondirent avec fermeté, « que s’étant données pour épouses au Fils de Dieu, elles ne pouvaient nullement s’engager dans l’alliance des hommes». Cette résolution affligea ce prince, qui prétendait tirer de grands avantages du mariage de ses filles avec ses voisins : il eut néanmoins assez de vertu pour ne leur point faire violence, et peu de temps après il mourut, laissant sa couronne et ses Etats à Hyspade ou Espain, son fils.

Ce jeune homme avait autant d’aversion du commandement que les ambitieux ont de passion de se le procurer. Le sceptre et le diadème, qui paraissaient aux autres tout chargés de fleurs, lui paraissaient tout hérissés d’épines. La difficulté qu’il sentait à se bien gouverner lui-même lui faisait croire qu’il lui serait impossible de bien gouverner un grand peuple. Ainsi, ne pouvant se résoudre à régner, il pria ses sœurs, dont il connaissait la prudence et la vertu, de se charger de ses États et d’en prendre le timon à sa place. Cette proposition surprit extrêmement ces saintes vierges, d’autant plus qu’elles virent bien que, si elles se portaient pour reines, les grands du pays et les communes les forceraient à se marier pour avoir des héritiers de leur couronne. Ainsi, sans balancer sur cette affaire, elles dirent résolument à leur frère qu’elles ne pouvaient accepter son offre, parce que, s’étant entièrement consacrées à Jésus-Christ, elles ne pouvaient plus avoir d’autre soin que de lui plaire. Cependant, comme elles avaient sujet de craindre que les comtes et les seigneurs d’Ecosse, qui pouvaient prétendre à leur alliance, ne les forçassent d'être leurs reines, elles se déterminèrent ensemble à abandonner secrètement leur pays et à passer dans une terre étrangère pour se délivrer de leurs poursuites. Hyspade, leur frère, à qui elles ne purent sceller leur résolution, à cause de la grande union de cœur et d’esprit qui régnait entre eux, voulut être de la partie. Ainsi, une nuit s’étant sauvés à pied d’Édimbourg, ils se rendirent promptement au port de la mer britannique qui regarde la France.

Dieu fit paraître en deux occasions que ces chastes princesses étaient sous sa protection spéciale. Ayant été obligées de coucher une nuit chez une pauvre veuve, elles y furent délivrées miraculeusement de l’insolence du fils de cette femme, qui jeta un regard impudique sur sainte Maure, sans que l’éclat de son visage, qui brillait au milieu de la nuit comme un soleil, fût capable d’éclairer son entendement, ni d’amortir la violence de sa passion. La chaste vierge s’étant aperçue de son mauvais dessein et du danger où elle était, eut recours à la prière, et demanda instamment à son époux qu’il lui plût changer le cœur de ce misérable, et, d’impudique et lascif qu’il était, le rendre pur et ami de la continence. Son oraison fut exaucée : car, à l’heure même, il se fit un si grand changement dans l’âme de ce sacrilège, qu’il éteignit lui-même le feu de sa passion par ses larmes, et que, se jetant aux pieds de la Sainte, il la supplia avec instance de lui pardonner sa folie et de lui en obtenir le pardon de la miséricorde de Dieu. La seconde occasion fut encore plus miraculeuse. Dans une autre hôtellerie, un homme osait aussi venir avec un désir criminel à la chambre où reposaient les deux vierges. Il croyait qu’elles ne pouvaient nullement échapper à sa passion ; mais, pendant qu’elles dormaient, leur ange, veil­lant sur elles, était auprès d’elles pour les garder. En effet, lorsque cet homme entra, il vit un prêtre, en habit sacerdotal, qui avait d’une main une lampe allumée dont il éclairait toute la chambre, et de l’autre un encensoir dont il la parfumait. Plein de dépit, il mit le feu à la chambre pour se venger.

L’incendie fut grand et n’épargna ni les meubles, ni les murailles, ni les planchers de la chambre ; mais, par un prodige de la puissance divine, le lit où étaient les chastes sœurs ne put être attaqué de la flamme, et on les y trouva toutes deux saines et sauves comme les trois enfants au milieu de la fournaise de Babylone.

Ces prodiges les eussent fait découvrir si elles n’eussent passé promptement la mer. Elles vinrent donc en France, et de là se rendirent à Rome, pour y visiter les tombeaux des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, auxquels les Anglais et les Ecossais avaient une très-particulière dévotion. Nous ne savons rien de ce qui leur arriva pendant ce grand voyage ; mais leur histoire nous apprend qu’étant à Rome, elles logèrent chez un homme nommé Ursicin ; elles le délivrèrent par leurs prières d’un démon qui l’obsédait.

De là, elles firent le voyage de Jérusalem avec leur frère et cet Ursicin, qui, pour reconnaître la grâce qu’il avait reçue par leur intercession, se voua à leur service et ne voulut plus les abandonner ; après la visite des saints lieux qu’elles arrosèrent de leurs larmes, elles repassèrent en Italie, et ensuite en France, où Dieu leur préparait un très-glorieux martyre. Le lieu où l’on dit qu’elles abordèrent, fut le port de Marseille, sur les côtes de Provence. Elles vinrent de là dans l’Anjou, où Ursicin, s’étant brisé la jambe, fut miraculeusement guéri par le seul attouchement du voile de sainte Maure, qui le donna pour lui servir de bandage. Un baiser de sainte Brigide rendit aussi la vue à une petite fille aveugle : ce qui mit les chastes sœurs en grande réputation, et les fit honorer comme Saintes.

Cependant leur fidèle compagnon étant retombé malade, après huit jours de fièvre, fut ravi en extase ; il apprit par révélation divine que ces glorieuses princesses, avec leur frère, recevraient bientôt la palme du martyre. L’avis qu’il leur en donna leur fût si agréable, que, pour récompense, elles lui méritèrent une seconde guérison : ensuite, elles entrèrent dans Angers, et logèrent chez une honnête veuve, nommée Aldegonde, qui venait de perdre son fils ; sainte Maure ressuscita ce jeune homme, et le rendit vivant à sa mère. Une grâce si peu espérée remplit le fils et la mère d’une reconnaissance extraordinaire, et, comme deux ou trois jours ne suffisaient pas pour remercier dignement leur bienfaitrice de cette insigne faveur, la voyant résolue à partir avec sa compagnie, pour aller au tombeau de saint Martin, ils l’y accompagnèrent et ne voulurent plus la quitter. Ce fut en ce voyage que la même sainte Maure ressuscita encore le fils d’un seigneur nommé Géronce, que l’on appelait Johel, et qui avait été tué, par accident, d’un coup de flèche ; mais elle lui prédit en même temps qu’il perdrait bientôt la vie pour la foi : ce qui lui procurerait l’honneur et la couronne du martyre. En effet, il eut la tête tranchée à vingt-deux ans par les enne­mis de notre sainte religion. Outre cette résurrection, elle rendit la santé au fils d’un cordonnier, affligé d’une paralysie, qui lui ôtait l’usage de ses membres : d’autre part, sainte Brigide, sa sœur, et saint Hyspade, leur frère, délivrèrent beaucoup de possédés et guérirent plusieurs fiévreux qui vinrent se présenter à eux dans la maison de Géronce, ou qui se trouvèrent dans le bourg. C’est pour cela que cette maison, qui est auprès de Sainte-Catherine de Feribois en Touraine, a depuis été changée en une église qui porte le nom de Sainte-Maure. Nous ne savons pas par quel chemin ces admirables pèlerins vinrent dans le Beauvaisis ; mais leur histoire nous apprend qu’y étant arrivées auprès d’une fontaine, avec leurs compagnons, en un lieu nommé Balagny, pour y prendre quelque nourriture, elles furent rencontrées par des brigands, ou plutôt par des barbares dont la France alors était remplie : car c’était après les invasions des Alains, des Vandales, des Suèves, et autres peuples du Nord. Ils massacraient ceux qui refusaient de satisfaire leur superstition ou leur avarice, ou leur brutalité. Saint Hyspade se mit en état de défendre ses sœurs, mais un coup d’épée lui trancha la tête. On dit que ce bienheureux prince ramassa sa tête en même temps, et la porta aux pieds de sainte Maure, en prononçant ces dernières paroles de l’Oraison dominicale : Sed liberas nos a malo, auxquelles les saintes sœurs répondirent : Amen. La cruauté de ces impies ne fut pas rassasiée du sang de saint Hyspade ; ils se jetèrent sur Aldegonde, cette pieuse veuve d’Angers dont sainte Maure avait ressuscité le fils, et sur ce même fils appelé Jean, qui avait suivi les sœurs à l’exemple de sa mère, et les mirent tous deux à mort ; et comme nos deux princesses n’en continuèrent pas moins de résister de toutes leurs forces aux désirs de ces barbares, elles furent aussi massacrées. Ursicin, dont nous avons parlé dans cette histoire, n’était pas présent à cette cruelle exécution : il connut bientôt ce qui était arrivé aux deux saintes par une lumière céleste qui parut sur le lieu de leur supplice ; il vit aussi une troupe d’esprits bienheureux qui emportaient leurs âmes au ciel, et, d’autre part, il aperçut les barbares qui s’entr’égorgeaient par une juste punition de leur crime. Il donna avis aux habitants de Balagny de ce qui s’était passé, et on rendit aux saintes Martyres l’honneur de la sépulture. L’évêque de Beauvais fit information de l’affaire, et, en ayant reconnu la vérité, il permit d’honorer Maure et Brigide comme deux saintes vierges et martyres. Il y en a qui croient que les Vierges de Touraine, sainte Maure et sainte Britte, dont nous avons donné la notice au 28 janvier, sont les mêmes que celles du Beauvaisis, dont nous venons de parler. En effet, les noms sont peu différents, et le temps s’accorde assez bien, puisque saint Euphrone est mort après le milieu du vie siècle ; mais, comme les unes ont été enterrées au diocèse de Tours, et les autres dans celui de Beauvais, où l’on a trouvé et honoré de tout temps leurs dépouilles sacrées, il y a plus d’apparence que ce sont des Saintes entièrement différentes, d’autant plus que saint Grégoire n’appelle celles de Tours que Vierges, au lieu que celles du Beauvaisis sont Vierges et Martyres. La fête de celles-ci est marquée, au diocèse de Beauvais, le 13 juillet, que l’on croit être le jour de leur martyre. On les invoque surtout aux époques de mortalité et de disette.

A Bus, au diocèse d’Amiens, on célèbre la fête solennelle de sainte Brigide le premier dimanche de mai, avec neuvaine. Le but du pèlerinage est d’attirer les bénédictions du ciel sur les vaches. Un pèlerinage semblable, où se rendent, à la même date, beaucoup d’habitants du Santerre, a lieu à Candor, canton de Lassigny, au diocèse de Beauvais.

 

CULTE ET RELIQUES.

Sainte Bathilde, reine de France, ayant appris les miracles qui se faisaient par leur intercession, se rendit au bourg de Balagny, pour honorer leurs corps sacrés et pour les faire transporter dans l’abbaye de Chelles, qu’elle faisait bâtir auprès de Lagny, avec beaucoup de magnificence En effet, on les chargea sur des chariots, et ils étaient déjà sur le chemin de Paris, pour aller à Chelles. Mais quand ils furent au carrefour de Nogent, près de Creil, les bœufs qui les traînaient s’arrêtèrent tout court, sans qu’il fût possible de les faire avancer. On fut donc contraint de leur laisser la liberté d’aller où l’instinct les conduirait ; et, aussitôt, ils tournèrent de leur propre mouvement vers le lieu que l’on appelle la Croix de Sainte-Maure ; et, de là, prenant le chemin de l’église de Nogent, ils y portèrent le fardeau sacré dont ils étaient chargés. Il fut mis dans le cimetière vis-à-vis de l’autel, du côté de l’orient, et y est demeuré jusqu’au pontificat d’Urbain III, qui fut fait Pape en l’année 1185. Ce Pontife, informé des guérisons miraculeuses qui se faisaient continuellement par le mérite et au tombeau de ces illustres Martyres, manda aux évêques de Beauvais et de Senlis de lever leurs précieux ossements : ce qu’ils firent avec beaucoup de cérémonie; et, pour conserver la mémoire de cette élévation, ils donnèrent, par l’autorité du Saint- Siège, cent jours d’indulgence à perpétuité, à tous ceux qui visiteraient l’église de Nogent, depuis le dimanche dans l’octave de l’Ascension jusqu’au jour de Saint-Jean-Baptiste. Le bourg, à cause de nos Saintes, est appelé Nogent-les-Vierges. L’an 1242, le roi saint Louis, par une dévotion singulière envers sainte Maure et sainte Brigide, visita leur église, et, l’ayant trouvée trop petite, il la fit augmenter de tout le chœur, et transférer leurs reliques dans de nouvelles châsses : ce qui fut exécuté par Eudes, coadjuteur à l’évêché de Beauvais, ainsi qu’il fut reconnu dans l’ouverture qu’en fit, l’an 1343, Jean de Marigny, évêque de la même ville, et depuis archevêque de Rouen. Enfin, ces châsses étant trop vieilles, l’Ordinaire les fit renouveler en l’année 1635 : ce qui réveilla la dévotion des peuples envers nos saintes Vierges. Elle devint encore plus fervente dans la ville de Beauvais, par le puissant secours que le peuple en reçut deux ans après, dans une grande contagion qui s’était répandue dans la paroisse de Saint-André. Le curé et tous les paroissiens firent vœu d’aller à la chapelle de Sainte-Maure et Sainte-Brigide, à Balagny, pour obtenir par leur intercession l’extinction de ce feu pestilentiel, et ils exécutèrent aussitôt leur promesse ; ce qui fut si efficace, que, le jour même de la procession, ce fléau cessa : de sorte que personne n’en fut plus frappé depuis, et que tous ceux qui étaient malades guérirent en peu de temps, sans que personne en mourût.

Nous nous sommes servis, pour compléter cette biographie, de la Vie des Saints du diocèse de Beauvais, par l’abbé Sabatier.

 

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14juillet


SAINT MAUGER OU VINCENT[5]

ABBÉ D’HAUTMONT, AU DIOCÈSE DE CAMBRAI, ET DE SOIGNIES, EN HAINAUT

Vers l'an 677. — Pape : Domnus Ier. — Roi d’Austrasie : Dagobert II.

 

Sancti viri fanditus sæculo renuntiantes huic mundo moriuntur, ut soli Deo vivere delectentur.

Les hommes parfaits, en renonçant complétement au siècle, meurent au monde, de telle sorte qu’ils font leurs délices de ne vivre qu'en Dieu.

Saint Isidore de Séville.

 

Au nombre des illustres seigneurs qui brillaient à la cour de Dagobert, on distinguait saint Mauger, plus connu sous le nom de saint Vincent. Les tuteurs ne sont pas d’accord sur son origine : les uns le font naître en Irlande, quelques-uns en Aquitaine, d’autres enfin, et avec plus de raison, ce semble, disent qu’il reçut le jour à Strépy-les-Binche, dans le Hainaut. Son père Mauger et sa mère Onoguera s’attachèrent à lui donner une excellente éducation, et le jeune homme répondit parfaitement à leurs soins. Il se fit remarquer de bonne heure par ses sentiments généreux et par un dévoue­ment sincère à la religion. Dieu, pour le récompenser de la fidélité avec laquelle il avait su conserver la pureté de ses mœurs au milieu des dangers du monde, lui donna pour épouse une sainte femme, qui avait passé, comme lui, les premières années de sa vie dans la plus parfaite innocence : c’était sainte Valtrude ou Vaudru.

Si l’on en croit certains hagiographes, ce serait peu de temps après le mariage de saint Mauger, que Dagobert lui confia une mission très-importante en Irlande, d’où il serait revenu dans la suite avec un grand nombre de saints missionnaires qui prêchèrent l’Évangile dans ces contrées. Les auteurs qui adoptent cette opinion, lui donnent pour compagnons, à son retour d’Irlande, les saints Foillan, Ultan, Fursy, Eloquie, Adalgise, Etton et Algise.

Quoi qu’il en soit de cette première partie de sa vie sur laquelle les opi­nions sont fort partagées, on voit que le comte Mauger habitait le Hainaut avec sa vertueuse épouse, à l’époque où saint Ghislain commençait à bâtir son monastère de Celles, et à édifier toute la contrée par ses vertus et ses œuvres saintes. Mauger lui-même s’y faisait remarquer par ses inclinations vertueuses autant que par ses brillantes qualités. Charitable et compatissant envers les pauvres, il veillait à ce qu’aucun d’eux ne fût privé des choses nécessaires à la vie, et sa sollicitude lui inspirait les plus touchants égards pour les malheureux et les infirmes qu’il regardait comme les mem­bres souffrants de Jésus-Christ. En même temps qu’il leur donnait les secours corporels, il savait aussi leur adresser des paroles de piété et de confiance en Dieu, pour réveiller les sentiments religieux dans des cœurs quelquefois aigris ou corrompus par le vice.

À l’exemple de sa pieuse épouse, Mauger apportait un très-grand soin à l’éducation de ses enfants. Landry, l’aîné, promettait déjà de devenir un fidèle imitateur de ses vertus : deux filles qui le suivaient, Aldétrude et Madelberte, faisaient aussi voir une grande piété dans toute leur conduite. Le plus jeune, Dentelin, enfant prédestiné pour le ciel, ne devait point tarder à remettre son âme innocente à son créateur. Mauger, au milieu de ses enfants, remplissait avec bonheur tous les devoirs d’un père de famille, et il ne se faisait pas moins admirer dans tout le pays par sa conduite sage et religieuse, que par son dévouement au monarque et la fidélité avec laquelle il s’acquittait des charges qui lui étaient confiées.

Dieu, qui le destinait à donner un grand exemple au monde par le re­noncement généreux qu’il fera bientôt de tous ses biens et de tous ses hon­neurs, inspira tout à coup à son fils aîné Landry, le désir d’entrer dans le sacerdoce. Mauger, dans le premier moment, fut étonné, affligé même de cette confidence : il répondit à Landry qu’il devait s’en rapporter à lui sur le choix d’un état et qu’il fallait plutôt songer à contracter une noble alliance dans le siècle, où d’ailleurs il pourrait faire son salut comme tant d’autres avant lui. Toutefois, quand le vertueux jeune homme renouvela sa demande, Mauger ne crut pas pouvoir s’opposer aux desseins de Dieu, et d’après le conseil des amis sages et religieux qu’il prit soin de consulter, il accorda à son fils la permission qu’il sollicitait.

Ce sacrifice, qui coûta beaucoup à son cœur paternel, les sollicitations de sa vertueuse épouse qui soupirait après la solitude, les exemples de plu­sieurs grands seigneurs du royaume qui avaient abandonné leurs dignités et leurs biens pour aller servir Dieu dans quelque monastère, toutes ces raisons avaient fait déjà une profonde impression sur l’âme de Mauger, lorsqu’une circonstance providentielle vint déterminer en lui la généreuse résolution de quitter le monde pour se consacrer entièrement au service de Dieu. Voici en quelle occasion arriva ce changement :

Saint Ghislain ayant terminé le monastère qu’il bâtissait, invita saint Aubert, évêque diocésain, et saint Amand qui l’avait aidé de ses conseils, à venir en faire la consécration. Le comte Mauger voulut assister à cette cérémonie, et il fut si touché des discours que, selon la coutume, les deux prélats prononcèrent en cette solennité, que dès ce moment, il résolut d’embrasser la vie religieuse.

Dieu lui-même, au dire de quelques auteurs, se manifesta à cet homme au cœur droit, et lui envoya, comme autrefois au centurion Corneille, un ange qui l’instruisit de ses volontés ; car une nuit, pendant son sommeil, un ange lui apparut et lui ordonna de la part de Dieu, de bâtir à Hautmont, en l’honneur du prince des Apôtres, une église dont il désigna la forme avec un roseau qu’il tenait à la main : encouragé par cette vision, qui excitait de plus en plus son âme à une parfaite conversion, il communiqua ce qu’il avait vu à son épouse sainte Vaudru, et s’en alla à l’endroit désigné, où, par un autre miracle, il fut confirmé davantage dans son dessein ; car il trouva tout le champ couvert d’une rosée blanche comme de la neige, à l’exception de l’emplacement de l’église désigné par l’ange : faveur presque semblable à celle que la sainte Vierge fit autrefois à Jean, patrice romain, qui trouva un matin du mois d’août, sur le mont Esquilin, dans Rome, la forme d’une église qu’il devait bâtir, couverte de neige.

Presque aussitôt, le comte Mauger se rendit à Cambrai auprès de saint Aubert, reçut de ses mains l’habit religieux et alla fonder le monastère d’Hautmont, sur la Sambre, près de Maubeuge, qui devint en peu de temps un des plus florissants de la contrée.

C’est à partir de ce moment qu’on lui donna le nom de Vincent, pour signifier la victoire qu’il venait de remporter sur le monde. A la cour, en effet, dans l’Austrasie et même dans tout le royaume, on admirait le courage et la générosité avec lesquelles un si puissant seigneur abandonnait ses dignités et ses charges brillantes pour se faire humble serviteur de Jésus-Christ. Bientôt même un nombre considérable d’anciens amis et de personnes nobles, que son exemple avait gagnés, vinrent se placer sous sa conduite dans cette abbaye d’Hautmont qui était comme un sanctuaire de piété. À certaines époques on y voyait aussi affluer les hommes de Dieu, qui travaillaient en différents lieux à la propagation de l’Évangile. Parmi eux on cite saint Ghislain, qui avait contracté avec le bienheureux Vincent une étroite amitié, saint Wasnulfe ou Wasnon, qui évangélisait les peuples du pays de Condé, saint Etton de Dompierre, saint Humbert de Maroilles et saint Ursmar de Lobbes qui commençaient leur vie apostolique, saint Amand qui la reprenait après avoir abandonné son siège de Maëstricht, et saint Aubert qui, comme évêque du lieu, présidait à ces réunions. C’est là que tous ces vénérables personnages conversaient entre eux sur les besoins spirituels des populations et sur les moyens les plus efficaces de travailler à leur sanctification. C’est là aussi qu’ils méditaient, dans le calme et la solitude, les grandes vérités qu’ils prêchaient aux autres, et dont ils se pénétraient toujours de plus en plus eux-mêmes. Saint Vincent goûtait d’ineffables consolations dans ces entretiens spirituels, et son bonheur eût été parfait si l’affluence de ses amis et des grands du royaume ne fût venue trop souvent le troubler dans sa retraite. Il se voyait à regret privé de cette sainte obscurité que son humilité cherchait : aussi, dès ce moment, songea- t-il à aller fonder un autre monastère dans un pays plus éloigné. À cet effet, il choisit un lieu désert dans les solitudes du Hainaut, à l’endroit où se trouve aujourd’hui la ville de Soignies[6]. C’est là qu’il continua la vie sainte qu’il avait commencée à Hautmont, et s’appliqua à diriger les pieux disciples qui le prièrent de leur servir de père.

Un grand nombre de nouveaux postulants venaient en effet chaque jour demander une place dans cette sainte maison, où Dieu était si fidèlement servi, et où vivaient des religieux qui faisaient l’admiration et l’édification de toute la contrée. On les voyait tantôt se livrant aux pénibles travaux de l’agriculture et rendant féconde par leurs sueurs une terre longtemps inculte, tantôt répétant en chœur des hymnes et des cantiques, d’autres fois présentant aux pauvres et aux malheureux les dons de la charité ou leur annonçant les vérités saintes de la religion. Le spectacle de tant de vertu, de charité et de dévouement, faisait une grande impression sur les esprits des hommes encore grossiers qui habitaient ces contrées.

Surtout ils ne pouvaient assez admirer saint Vincent, qui de grand seigneur dans le monde, s’était fait humble serviteur de Jésus-Christ, et père spirituel de cette nombreuse famille qu’ils avaient sous les yeux. C’était lui qui entretenait dans la communauté cette ferveur et cet esprit de régularité qui la rendaient si prospère. Souvent, en effet, on l’entendait rappeler à ses disciples la vie des anciens religieux, la sainteté de leurs œuvres, et la gravite de leurs mœurs, et il les engageait à les imiter et à espérer d’obtenir de Dieu comme eux la gloire et la louange. Repousser tous les désirs d’une ambition terrestre, soupirer sans cesse après la possession de la beauté infinie et méditer souvent sur les châtiments réservés aux aveugles partisans de ce monde méprisable, telles sont les pensées qui doivent entretenir dans leurs âmes les saintes ardeurs de la charité. Ainsi parlait le bienheureux Vincent à ses enfants spirituels qui l’écoutaient avec le plus profond respect. Mais si l’influence de ses discours était grande sur l’esprit des religieux et des habitants du pays, on peut dire que celle de ses exemples l’était encore plus. « On voyait en effet ce leude puissant, autrefois revêtu des brillantes insignes de ses dignités, maintenant couvert d’un habit rude et grossier, et celui qui avait passé une partie de sa vie à la cour des princes, aujourd’hui perdu au milieu d’une contrée inculte et sauvage. Cet ancien commensal des rois ne prenait pour nourriture qu’un morceau de pain trempé dans l’eau, et n’avait bien souvent pour se reposer que la terre nue ».

Telle fut l’admirable conduite de saint Vincent jusqu’au jour où Dieu lui envoya diverses infirmités. Elles achevèrent d’augmenter ses vertus et ses mérites, et de le préparer à entrer dans la céleste patrie, après laquelle il soupirait depuis longtemps. Sentant que sa fin approchait, il fit appeler son fils Landry, qui occupait alors le siège de Meaux, afin de lui adresser ses dernières recommandations. Lorsque le pieux prélat fut arrivé auprès du lit de son père, le bienheureux Vincent lui dit, en montrant de la main ses enfants spirituels réunis autour de lui : « Fils très-aimé, la clémence divine vous a destiné à diriger ces religieux : elle vous place à la tête de ce troupeau. Entreprenez cette œuvre avec confiance, le Seigneur sera avec vous. Gouvernez avec la bonté de cœur et l’intelligence que Dieu a mises en vous, vous mériterez ainsi d’entrer dans la gloire du ciel, et de recevoir la magnifique récompense que Dieu destine à ses serviteurs ». Landry promit à son vénérable père d’accomplir sa volonté, et de prendre soin des communautés d’Hautmont et de Soignies. Le saint et vénérable vieillard, désormais tranquille sur l’avenir des disciples qu’il laissait sur la terre, ne pensa plus qu’aux choses de l’éternité, jusqu’au moment où il remit son âme à Dieu, entre les bras de son fils bien-aimé, vers l’an 677. Le bienheureux Vincent fut inhumé dans son monastère, qui devint comme le berceau de la ville de Soignies.

On représente saint Vincent de Soignies : 1° avec une église sur la main, comme fondateur de monastères ; 2° dans un groupe, avec sainte Vaudru, son épouse, et ses quatre enfants.

Il est patron de Mons et de Soignies.

 

CULTE ET RELIQUES.

Les guérisons multipliées qui s’opérèrent par son intercession déterminèrent les évêques de Cambrai à environner sa mémoire de tous les respects qui lui étaient dus. Il y eut plusieurs translations de son corps qu’on renferma successivement dans des châsses précieuses et d'un travail remarquable. L’une d’elles avait été donnée par la comtesse de Hainaut, Marguerite, fille de l’empereur Baudouin ; une autre, dont le dessin a été conservé par les Bollandistes, portait sculptés sur son contour les différents personnages dont se composait la famille de saint Vincent.

Lors des invasions des Normands, le comte de Hainaut, Régnier au Long Col, vaincu par ces féroces envahisseurs à la bataille de Walcheren, voulut porter lui-même sur ses épaules les reliques de saint Vincent, qu’il allait cacher avec beaucoup d’autres dans la ville de Metz. On voit aussi dans l'Histoire de Mons, que, en 1349, au moment où la peste noire exerçait d’épouvantables ravages dans toute la contrée, les habitants de cette ville et ceux de Soignies firent une procession solennelle, dans laquelle étaient portées avec honneur les reliques de saint Vincent et de sainte Vaudru, son épouse. On n’avait jamais vu une affluence si considérable. Des auteurs élèvent à cent mille le nombre des personnes qui assistaient à cette procession. Dieu exauça les ferventes prières de ce peuple suppliant, et le fléau disparut presque aussitôt du pays.

 

Extrait de la Vie des Saints de Cambrai et d'Arras, par l'abbé Destombes. — Cf. Acta Sanctorum, tome III de juillet, et les continuateurs de Godescard.

 

 

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15juillet


LE B. BERNARD DE BADE,

CONFESSEUR,

PATRON DE VIC, AU DIOCÈSE DE NANCY

1453. — Pape : Pie II — Roi de France : Charles VII, le Victorieux.

 

Verus humilis semper timet ne sibi aliqua gloria exhibeatur, et cum sibi exhibita fuerit, expavescens medullitus expavescetur.

L’homme vraiment humble redoute toujours qu'on lui rende quelque gloire, et quand elle se présente, il en est effrayé et contristé au fond du cœur.

Saint Albert le Grand.

 

Bernard, petit-fils de Charles II, de Lorraine, et de la vertueuse Marguerite de Bavière, né vers l'an 1438, avait été, dit-on, fiancé à Madeleine, fille du roi de France, Charles VII ; mais, si brillante que fût cette alliance et si flatteuse qu’elle dût lui paraître, il y renonça pour s’adonner aux exercices de la piété chrétienne et vaquer uniquement aux affaires de son salut. Toutefois, il crut ne pas devoir refuser les dignités de gouverneur de la province d’Allemagne et de président impérial en Italie, que lui conféra Frédéric IV, bien qu’il n’eût encore que dix-huit ans. Cet empereur le combla de biens, mais Bernard n’en usa que selon les maximes de la perfection évangélique. II partagea sa fortune en trois portions égales dont la première fut pour les pauvres, la seconde pour les églises, et la troisième pour son entretien et celui de sa maison. Outre les vertus morales qu’il possédait dans le plus éminent degré, comme la douceur, la modestie, l’humilité, la chasteté, la miséricorde et la justice, il avait un excellent esprit. L’empereur ayant formé le projet de pacifier tous les princes et de réunir leurs forces contre les infidèles qui, peu de temps auparavant, s’étaient rendus maîtres de Constantinople, jeta les yeux sur Bernard de Bade pour- cette importante mission et le fît son ambassadeur près des princes chrétiens. Bernard commença ses voyages par la France, alla en Savoie, puis se dirigea vers Rome. Mais la mort le surprit à Moncallier, le 15 juillet 1458, plus chargé de mérites que de jours, n’ayant alors que dix-neuf ans. Il fut enterré au pied du grand autel de l’église collégiale de cette ville. Le pape Sixte IV, informé des miracles qui s’opéraient à son tombeau, fit procéder, dix ans après sa mort, à l’information de sa vie, et le béatifia l’année suivante 1469. Georges de Bade, son frère, lui fît élever un autel dans l’église collégiale de Vic, où l’on voit encore sa statue, en habit de guerrier. On y célébra longtemps sa fête comme d’un Saint ; mais M. de Coislin (1697-1732), l’un des successeurs de Georges de Bade sur le siège de Metz, ordonna que l’on en userait désormais à Vic comme à Montcallier, c’est-à-dire que l’on se contenterait d’une invocation publique dans l’église, au jour de la fête du Bienheureux, qui se célèbre le 15 juillet. D’après Dom Calmet, on conservait, à Vic, l’épée du bon Bernard, un os de son corps et le voile dans lequel ses reliques avaient été longtemps enveloppées. Les nombreux miracles opérés par son intercession attiraient autrefois à Vic, au pied de son image, une grande foule de pèlerins. Maintenant en­core, les habitants de la Lorraine viennent s’agenouiller devant elle, dans l’église paroissiale de Vic, et faire célébrer le saint sacrifice en l’honneur du Bienheureux qu’elle représente : « Par une sorte d’hommage rendu à l’humilité dont le bienheureux Bernard donna l’exemple pendant sa vie », ajoute M. Henri Lepage, archiviste de la Meurthe, « ceux qui vont l’invoquer à Vic sont persuadés que leurs vœux ne seront exaucés qu’à la condition de ne point parler de leur pèlerinage ni de la confiance qu’ils ont dans l’intercession de celui qu’ils vont invoquer ».

On le représente : 1° revêtu d’une armure, pour indiquer qu’il appartenait à la maison des margraves de Bade ; cette cotte d’armes est souvent marquée de la croix pour rappeler qu’il s’occupait de former une ligue contre les Turcs quand la mort le surprit à Montcallier ; 2° tenant dans sa main un lis, symbole de la virginité.

Tiré de l'Histoire des diocèses de Toul et de Nancy, par M. l'abbé Guillaume, chanoine de Nancy.

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16juillet


SAINT GÉNÉREUX OU GÉNÉROUX,

ABBÉ DE SAINT-JOUIN DE MARNE, AU DIOCÈSE DE POITIERS

VIe siècle

 

Tunc dignissime prælatus abbas vocatur quando vita et doctrina suos subditos antecedit.

Un supérieur porte dignement le titre d’abbé lors­qu’il surpasse ses inférieurs par sa science et sa sainteté.

Joan. Trith., in cap. II Reg. S. Bened.

 

Généreux, appelé, plus vulgairement Généroux, était romain de naissance. On ignore quels motifs lui firent abandonner l’Italie. Il en sortit peut-être comme tant d’autres qui, à une époque de rénovation sociale, quittaient leur pays agité par les incessantes révolutions du monde, afin de trouver ailleurs un repos dont leur patrie ne jouissait point. Quoi qu’il en soit, après avoir parcouru une partie du Poitou, il arriva jusqu’au monastère d’Ansion, dans le voisinage de Thouars, que saint Jouin avait fondé vers la fin du Ve siècle. On était alors au commencement du vie ; la réputation de la sainte demeure resplendissait encore de l’éclat que lui avaient donné les vertus et les miracles de son fondateur. Généroux n’eut pas besoin d’un long examen pour apprécier ce qu’il venait de trouver, et il résolut d’arrêter là ses recherches. Le premier abbé gouvernait encore, après avoir succédé à saint Jouin. C’était Léonégisile, autre étranger que la soif de la perfection évan­gélique avait jadis attiré aussi vers les lieux embaumés de la réputation de saint Hilaire. Il ouvrit à Généroux les portes de la communauté, et peu de temps après celui-ci y prit l’habit religieux.

De telles vocations ne manquent pas de se prouver bientôt par une fidèle observance de la règle, par l’amour de l’obéissance, par la pratique du silence et du recueillement habituels, marques certaines dans une âme religieuse de cette vie de foi qui la mène rapidement à sa perfection. Tant de précieuses qualités se développèrent dans Généroux de la manière la plus édifiante, si bien que Léonégisile étant mort, celui dont il avait guidé les premiers pas dans la carrière monastique fut élu d’un consentement unanime pour continuer son œuvre et guider à son tour ces âmes d’élite vers le ciel. Dans cette tâche toujours difficile et fort souvent très-délicate, où les supérieurs ont besoin de chercher avant tout l’esprit de Dieu, le nouvel abbé se comporta tout d’abord avec une discrétion et une prudence qui ne se démentirent jamais ; modérant par beaucoup de réflexion et de maturité l’ardeur naturelle de son zèle, et s’appliquant à ne pas sortir, dans la conduite de ses frères, des limites assignées par la règle aux austérités de leur vie pénitente. Sous son gouvernement le monastère s’enrichit des vertus de saint Paterne et de son bienheureux ami Scubilion, qui vinrent y cacher des vertus dont le monde n’était pas digne. Mais il leur avait fallu, après quelque temps d’essai, une solitude plus profonde ; et les deux amis, profitant de la liberté laissée, en ces premiers siècles, à tout religieux de changer de communauté selon que lui inspirait le désir d’une plus grande perfection, ils s’étaient retirés, après trois ans à peine de séjour à Ansion, sur les côtes de la Nor­mandie, où la sainteté de leur vie n’éclata pas moins que dans le Poitou. Ils y habitaient depuis peu de temps, et déjà, s’étant séparés pour vivre dans une plus grande union avec Dieu, Paterne s’adonna à des austérités plus dures. Sa nourriture consistait uniquement en une faible portion journa­lière de pain et d’eau : c’était à peine si quelquefois il y joignait quelques légumes mêlés d’un peu de sel. Pour vêtement il n’avait qu’un cilice qu’il portait nuit et jour. Généroux apprit ces rigueurs excessives, et sa charité s’en émut : il craignit que le Saint ne portât trop loin le zèle de la péni­tence et ne perdît ainsi des forces dont le service de l’Eglise avait besoin. Il quitta donc ses frères pour quelques jours, se dirigea vers la solitude habitée par son disciple, et ne revint à la sienne qu’après lui avoir fait pro­mettre qu’il modérerait la rigueur de ses mortifications en les conformant à la règle qu’il avait suivie jusqu’alors. Saint Généroux mourut plein de bonnes œuvres, moins âgé que ses historiens ne l’ont cru jusqu’ici, et longtemps avant la fin du vie siècle. Une église paroissiale, devenue plus tard prieuré de Saint-Jouin de Marne, avait été d’abord construite par saint Généroux à une courte dis­tance de l’abbaye. Son corps y fut porté après sa mort, par les disciples qu’il y avait laissés. Comme tant d’autres, ces restes vénérés ont disparu, profanés et dispersés par la guerre ou l’impiété. Mais Dieu a gardé le monument qui porte encore, après treize siècles, le nom béni de son fondateur, et reste aux yeux du chrétien, qui y voit un de ses titres de gloire, le plus ancien témoin de sa religion dans cette religieuse partie du Poitou.

L’abbé Auber, Vies des Saints de l’Eglise de Poitiers. — Cf. De Chergé, Vies des Saints du Poitou, et le Propre de Poitiers.

 

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17juillet


SAINT LIVAIRE OU LIVIER,

MARTYR A MARSAL, AU DIOCÈSE DE NANCY Ve siècle

 

Livaire, né dans le territoire de Metz, d’une famille noble, donna des preuves éclatantes de sa foi et de toutes les vertus chrétiennes. Lorsque les Huns vinrent ravager la ville de Metz et tout le pays, vers l’an 450, il combattit vaillamment pour la défense de sa patrie et de sa foi, fut fait prisonnier sur le champ de bataille et emmené par les ennemis jusqu’à Marsal. IL fut mis à mort en ce lieu, avec Purgence et Agence, ses compagnons, pour n’avoir pas voulu renier le Christ, et fut inhumé dans l’endroit même de son supplice. Sur la fin du Xe siècle, Théodoric ou Thierry, évêque de Metz, transféra le corps du bienheureux Martyr et le déposa dans la basilique de Saint-Vincent, qu’il venait de fonder. IL fut dans la suite porté dans l’église de Saint-Polyeucte, qui prit le nom de Saint-Livaire, à l’exception de quelques petits ossements qui demeurèrent à Saint-Vincent. Ces restes vénérés disparurent à la fin du XVIIIe siècle ; l’église de Saint-Livaire n’existe plus ; mais le corps entier de l’illustre martyr vient d’être retrouvé.

L’enlèvement des reliques de saint Livier, du lieu qu’il avait consacré par son martyre et où, pendant cinq siècles, il avait reposé, n’a pas fait cesser le culte que les peuples lui rendaient. Loin de là, les fidèles de la contrée ont toujours continué à vénérer le sol humecté par le sang de ce Confesseur et sanctifié par le contact de sa cendre. Dans ces derniers temps, l’antique chapelle a été convenablement restaurée ; on y a placé quelques parcelles du corps qu’auparavant elle avait possédé tout entier, et la confiance dans l’intercession de saint Livier y amène encore, même de localités éloignées, bon nombre de pèlerins. Depuis, encore, M. l’abbé Germain, vicaire général de Metz, né à Marsal, a obtenu, pour l’église de cette paroisse, une relique du saint Martyr qu’il a placée dans un beau reliquaire et remis lui-même, en cérémonie, à M. l’abbé Humbert, curé du lieu.

Propre de Metz complété par M. l'abbé Guillaume, de Nancy.

 

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18juillet


SAINT ARNOÜL OU ARNOULT,

ÉVÊQUE DE METZ ET ERMITE DANS LES DÉSERTS DES VOSGES

641. — Pape : Jean IV. — Rois de France : Sigebert II ; Clovis II.

 

Felix ista conversatio, despicere homines, angelos quærere, urbes deserere, et in soliludine invenire Christum.

Heureuse vie que celle qui consiste à quitter les hommes pour chercher la société des anges, à fuir le séjour des villes pour goûter la présence de Dieu dans la solitude.

S. Joan. Chrys., hom. I sup. Marc.

 

Saint Arnoul appartient à l’Eglise de Nancy, par droit de naissance, par droit de résidence et par droit de sépulture. Il naquit à Lay-Saint-Christophe, à une lieue de Nancy, dans un château, transformé depuis en un prieuré de Bénédictins. La chambre, que l’on dit être celle de sa naissance, devint une chapelle dont on montre encore aujourd’hui l’emplacement. IL fut soigneusement élevé dans les lettres et dans la piété, puis formé par Gondulphe, conseiller du roi Théodebert, aux exercices propres à sa condition. Après s’être distingué, par sa valeur, à la tête des armées, par son esprit et sa vaste capacité dans le gouvernement de plusieurs pro­vinces, il épousa une personne de qualité, nommée Dode, dont il eut deux fils, Clodulphe ou Chlodulfe et Ansigise. Ce dernier ayant épousé Begga, fille de Pépin Ier, maire du palais, devint père de Pépin d’Héristal, qui en­gendra Charles Martel. Charles Martel à son tour procréa Pépin le Bref, qui fut le père de Charlemagne. C’est donc à Lay-Saint-Christophe qu’il faut venir pour trouver la première souche de la dynastie des Carlovingiens.

Clodulphe fut évêque de Metz, vingt-neuf ans après son père, dont il fit écrire la vie et sut imiter la sainteté. Il en gouverna l’Eglise, pendant près de quarante-deux ans et mourut le 8 juin 696[7].

Papole, évêque de Metz, étant mort en 613, le clergé et le peuple de­mandèrent Arnoul pour évêque. Le roi Clotaire l’accorda volontiers, et le modeste candidat crut devoir obéir à une volonté qu’il regardait comme celle de Dieu. Ce ne fut néanmoins qu’avec la plus vive appréhension qu’il se courba sous le joug d’une dignité si relevée. Il avait préalablement reçu le libre consentement de son épouse. Cette vertueuse femme se retira en­suite dans la ville de Trêves, où elle prit le voile de religieuse et demeura recluse jusqu’à sa mort.

Avant son ordination, Arnoul avait fait connaissance et s’était lié d’amitié avec saint Romaric qui, pour lors, était à la cour du roi Théodebert. L’auteur de sa vie raconte que, traversant un jour la Moselle sur un pont, qu’il a oublié de déterminer, Arnoul tout occupé de la grandeur de ses fautes et de la sévérité des jugements de Dieu, tira de son doigt l’an­neau qu’il portait et le jeta dans le fleuve en se disant intérieurement : « Je croirai que Dieu m’a remis mes péchés lorsque cet anneau me sera rendu ». Devenu évêque de Metz, il advint qu’un jour on lui présenta un poisson qu’il fit préparer pour son souper ; car depuis sa promotion il s’était astreint à une continuelle abstinence. Le cuisinier ayant ouvert le poisson, trouva un anneau dans ses entrailles. Il le porta bien vite au Saint qui le reconnut pour le sien, admira les effets de la grâce et remercia la miséricorde de Dieu. Paul Warnefride, qui a écrit l’histoire des évêques de Metz, s’étonne de ce que l’auteur de la vie de saint Arnoul ait omis ce fait si re­marquable « que j’ai appris », dit-il, « non d’un homme du commun, mais de la bouche même de l’empereur Charlemagne ». Arnoul ayant résolu de déposer le fardeau de l’épiscopat et de se reti­rer dans la solitude, eut longtemps à lutter contre l’opposition que Dagobert apportait à sa retraite ; il parvint néanmoins à la vaincre et à faire élire Goéric pour son successeur. Il se disposait à quitter enfin Metz avec Romaric, qui l’y était venu chercher, quand un violent incendie éclata dans les caves du roi, menaçant de se propager et peut-être de ne faire de la ville qu’un monceau de cendres. Romaric courut à la maison du saint évêque qui, comme d’ordinaire, s’occupait de la psalmodie : « Sauvons-nous », lui dit-il en lui prenant la main, « nos chevaux sont à la porte, fuyons de peur que les flammes ne nous surprennent ». — «Non, mon cher ami », répondit Arnoul, « mais conduisez-moi vers ce feu, placez-moi près des flammes, afin que si Dieu le veut, j’en sois consumé, je suis entre ses mains ». Nous le conduisîmes par les mains, dit l’auteur de sa vie, et étant arrivés au lieu où le feu était le plus violent, nous nous mîmes tous en oraison avec lui : puis, nous ayant dit de nous relever, il étendit la main vers le feu et forma le signe de la croix. Aussitôt les flammes retournèrent en quelque sorte sur elles-mêmes et ne passèrent pas plus avant; après quoi, ayant dit Matines, nous nous retirâmes. Ayant achevé de distribuer son bien aux pauvres, Arnoul partit avec son ami Romaric et se retira sur la montagne, nommée aujourd’hui le Saint- Mont, non loin de la ville de Remiremont dans les Vosges, et vécut là pendant plusieurs années avec d’autres religieux qu’il y trouva. Plus tard, il quitta sa petite communauté pour vivre en reclus, dans une cellule séparée. Enfin, augmentant sans cesse en ferveur, il se confina dans une solitude plus grande encore, et se fit ermite sur une montagne plus haute et plus isolée que le Saint-Mont, dont elle est séparée par une étroite et profonde vallée. Il faudrait, ajoute Dom Calmet, avoir vu les lieux où ce Saint, avec saint Romaric et saint Amé, ont demeuré, pour se former une juste idée de leur retraite et de leur pénitence. Ce sont des montagnes stériles, fort hautes et de très difficile accès ; couvertes de sapins, environnées de rochers et de précipices, où les neiges et les glaces demeurent pendant la plus grande partie de l’année ; éloignées de tout commerce des hommes et où les bêtes sauvages ont même peine à trouver leur pâture et un abri.

Le temps étant venu auquel Dieu voulut récompenser les travaux et la mortification de son serviteur, saint Romaric, accompagné de ses religieux, se rendit à l’ermitage de saint Arnoul. Ce pieux évêque et si fervent solitaire, s’accusant de n’avoir jusque-là rien fait pour le ciel, se recommanda aux prières de ces bons serviteurs, puis s’endormit en paix (641). Romaric en fit apporter le corps au Saint-Mont et lui donna la sépulture. Mais un an ne s’était pas écoulé que saint Goéric, accompagné des évêques de Toul et de Verdun, le transféra solennellement à Metz.

On représente saint Arnoul : 1° portant au doigt l’anneau dont nous avons parlé ; 2° avec une armure sous sa chape épiscopale, pour rappeler sa haute naissance et sa royale postérité ; 3° entendant la confession du maire du palais d’Austrasie, Pépin de Landen, dont il était le directeur, et qui venait tous les jours, nu-pieds, demander à notre Saint l’absolution de ses fautes ; 4° portant le rational ou superhuméral, insigne de l’épiscopat ; 5° en costume d’ermite ; 6° en groupe, avec sa mère sainte Ode, sa femme sainte Dode, et son fils saint Clodulphe ; 7° éteignant par sa bénédiction l’incendie dont nous avons parlé ; 8° ayant à la main le bourdon du pèlerin, pour rappeler qu’il quitta son siège épiscopal pour se retirer dans la soli­tude ; 8° retrouvant, comme nous l’avons dit, son anneau épiscopal dans les entrailles d’un poisson qu’on lui servait.

Il est patron de Metz, et les habitants de ce pays l’invoquent contre l’incendie.

 

CULTE ET RELIQUES.

Saint Arnoul fut donc inhumé à Metz, dans l’église de Saint-Jean l’Évangéliste, située extra muros, et qui était l’église d’une abbaye dont les propriétés touchaient aux murs de la ville. Cette magnifique basilique était aussi appelée l'église des Apôtres, parce qu’on y honorait les reliques des Apôtres. Les nombreux miracles opérés au tombeau de saint Arnoul ont bientôt fait donner le nom de ce saint évêque à l’église et à l’abbaye qui possédaient ses reliques, en sorte que l’église et l’abbaye de Saint-Arnoul sont la même chose que l’abbaye et l’église de Saint- Félix ou des Apôtres. En 1552, lorsque Charles-Quint vint mettre le siège devant Metz, le duc de Guise, chargé de défendre la place, fit raser l’abbaye et la basilique de Saint-Arnoul, qui étaient un obstacle aux ouvrages de défense. Un autre couvent et une autre église furent offerts, en ville, aux religieux de Saint-Arnoul, et les reliques du Saint, avec beaucoup d’autres, furent solennellement transférées dans cette église, qui, de là, prit aussi le titre de Saint-Arnoul. Mais les reliques furent profa­nées et presque toutes perdues pendant la grande Révolution. Il ne reste plus à Metz qu’un os de la tête de saint Arnoul et son anneau, reliques qui sont conservées et honorées dans l’église de la cathédrale. Avant la Révolution, chaque année, la veille de la fête de saint Arnoul, son anneau était porté par les chanoines, en habits de chœur, au couvent dédié à ce Bienheureux, et en était rapporté, le lendemain soir, à la cathédrale, dans le même appareil. On s’en servait, ce jour-là, pour faire, avec la pierre gravée de son chaton, des empreintes sur des anneaux de cire, que l’on distribuait comme objets de dévotion. À l’époque de 1193, lorsqu’on dépouilla la cathédrale de son trésor, l’anneau de saint Arnoul fut porté à l’hôtel de la Monnaie avec divers vases sacrés. Un des officiers de la Monnaie put, en le rachetant, le sauver de la destruction. Mais, plus tard, sur le point de quitter Metz, il le céda à l’un de ses collègues, M. Lallouette, duquel, enfin, M. l’abbé Simon l’obtint en 1819. Sans perdre de temps, M. Simon fit constater l’authenticité de cette précieuse relique par différentes personnes qui en avaient eu une parfaite connaissance avant la Révolution, et notamment par M. Valentin, alors curé de Courcelles-Chaussy, et par Dom Millet, alors curé de Béchamps. Le premier, en sa qualité de grand marguillier de la cathédrale, avait eu cet anneau sous sa garde ; et le second, en sa qualité de prêtre-sacristain du couvent de Saint-Arnoul, s’en était servi pour faire des empreintes sur des anneaux de cire. Des procès-verbaux de toutes ces circonstances ont été dressés, et enfin, en 1846, M. l’abbé Simon a remis l’anneau avec toutes ces pièces entre les mains de Mgr Du Pont des Loges, pour être conservé dans le trésor de la cathédrale.

Nous nous sommes servis, pour composer cette biographie, de l'Histoire des diocèses de Toul et de Nancy, par M. l’abbé Guillaume, et de Notes locales, fournies par M. le supérieur du petit séminaire Saint-Louis de Gonzague, diocèse de Metz. — Cf. Godescard.

 

 

 

 

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[1] Cette promotion eut lieu, non par saint Innocent, mais par l’un de ses successeurs.

[2] 1. Département de Saône-et-Loire, arrondissement de Chalon-sur-Saône, canton de Verdun-sur-le- Doubs. '

[3] Ut corpus Christi in altari non imaginario ordine, sed crucis titulo componatur. D’autres voient dans ces paroles le sens suivant : « Il ne faut pas ranger sur l’autel les pains qui doivent être consacres pour Ia communion du peuple, dans un ordre arbitraire, mais sous forme de croix.

[4] Il n’est peut-être pas inopportun de dire ici un mot sur la nomination des évêques : elle s’est tou­jours composée de deux éléments, et de trois partout où la religion catholique est plus ou moins reconnue par l’Etat ; toujours chaque église a élu ou agréé son évêque, soit tout entière, ecclésiastiques et fidèles réunis; soit par le clergé, soit par le chapitre de la cathédrale. Il en fut de même des rois; tantôt ils ont nommé, tantôt ils ont simplement agréé les évêques. C’est au Pape qu'il appartient de les confirmer, de les instituer. Cette confirmation est faite aujourd'hui immédiatement par le Pape; elle ne l'était jadis que médiatement, c’est-à-dire par le moyen des métropolitains; les évêques étaient confirmés par le métropolitain qui était en communion avec le Pape, subordonné au Pape.

Mais en vertu des articles iv et v du Concordat de 1801 les évêques en France sont nommés par le souverain et confirmés par le Pape. Il en est de même dans beaucoup de royaumes catholiques.

Sans doute ce que le souverain Pontife a fait est bien fait. Sans doute la nomination des évêques telle qu'elle se fait aujourd'hui est très-canonique, puisqu'elle a été ainsi réglée par le vicaire de Jésus-Christ, pour le plus grand bien de l'Eglise, vu les circonstances. Mais il est permis de désirer que ces circons­tances changent et que le souverain Pontife puisse apporter quelque modification à ces articles iv et v du Concordat. Si un évêque était ou élu, ou agréé, ou présenté simplement par le chapitre de l’Eglise qu'il doit gouverner, il aurait d’avance l’affection et l'estime de cette Eglise. Il serait plus indépendant vis-à-vis le souverain temporel, à qui on conserverait toujours le droit ou de ne pas agréer ou de ne pas présenter ou d’éliminer les candidats qui lui sembleraient hostiles. Les deux Intérêts seraient ainsi conciliés sans que l’un fût sacrifié à l'autre. Ah ! n’oublions pas que la liberté de l’Eglise repose prin­cipalement sur l'indépendance de l'épiscopat qui dépend beaucoup de la nomination ou élection des évêques. 

[5] . Alias : Madelgaire, Madelgarius.

[6] Soignies, dans l'ancienne forêt de Soignies, non loin du lieu où la Senne prend sa source, à 15 km. N.E. de Mons; 7,000 habitants. Des auteurs croient que Samon qui, sous Dagobert, devint roi des Slaves, était de ce pays; d’autres le disent originaire du territoire de Sens.

[7] Voir sa vie à ce jour.

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