SAINT THIERRY, CONFESSEUR,
ÉVÊQUE DE CAMBRAI ET D’ARRAS.
862. — Pape : Nicolas Ier. — Roi de France : Charles II, le Chauve.
Pretiosissimum quid est anima Deo, pro qua proprio Filio non pepercit.
Une âme est tout ce qu'il y a de plus précieux pour Dieu puisque pour elle il n’a pas épargné son Fils. Hugo card.
Dans le temps que de graves démêlés et des divisions affligeantes entre Louis le Débonnaire et ses enfants troublaient l’Eglise et le royaume de France, les sièges de Cambrai et d’Arras furent occupés par le vénérable et saint évêque Thierry. On ne connaît rien des années qui précédèrent son élection, ni des circonstances qui la déterminèrent. Quelques auteurs semblent insinuer que Louis le Débonnaire n’y fut pas tout à fait étranger. Ce choix ferait beaucoup d’honneur à cet infortuné monarque, qui aurait ainsi bien mérité des Eglises de Cambrai et d’Arras.
Quoi qu’il en soit, il est certain que Thierry fut, dès les premiers jours de son épiscopat, environné de la considération et du respect de tous. Il passait pour avoir des rapports intimes et mystérieux avec Dieu ; on disait même qu’il était favorisé du don de prophétie.
Les événements peu nombreux que l’on trouve dans sa vie se rattachent presque tous à l’histoire générale de l’Eglise de France à cette époque ; et il n’est guère possible de les rapporter dans une simple notice avec les détails nécessaires qu’ils comportent. Voici, en un peu de mots, ce qui dans ces faits peut intéresser et édifier le lecteur.
Lorsque quelques évêques de France, égarés surtout par les perfides machinations d’Ebbon, archevêque de Reims, manquèrent au respect et à l’obéissance qu’ils devaient à Louis le Débonnaire, Thierry, bien qu’il eût reçu l’onction épiscopale des mains d’Ebbon, ne se laissa point entraîner et resta toujours fidèle à son prince légitime. Plus tard, au concile de Thionville, il souscrivit avec ses autres collègues la sentence de déposition prononcée contre l’archevêque de Reims, et que celui-ci reconnaissait alors avoir justement méritée. Au nombre des juges particuliers qu’Ebbon avait choisis en cette circonstance figure saint Thierry de Cambrai et d’Arras. Cette préférence honore trop ce digne prélat pour ne point la signaler (835).
Saint Thierry fut encore présent au concile tenu à Paris en 845, et dans lequel on prit de sages dispositions pour remédier aux maux nombreux qui désolaient l’Eglise et l’Etat. Quelques années plus tard (849), il se rendait à la maison royale de Quercy-sur-Oise, où une assemblée d’évêques avait été convoquée pour condamner les erreurs de Gotescalk et s’opposer aux désordres que faisait naître partout ce moine turbulent et emporté. Dans un autre concile qui se tint à Soissons le 22 avril de l’année 853, l’évêque Thierry présenta un écrit dans lequel étaient rapportés tous les détails de la déposition d’Ebbon, à laquelle il avait assisté. « Ce que j’ai vu et entendu », dit-il à haute voix au milieu de l’assemblée, « j'en rends témoignage et je le rapporte par écrit ». Le célèbre Loup de Ferrières, qui était aussi présent à ce concile, prit alors l’écrit des mains du prélat et lut cette relation de la déposition d’Ebbon et de son rétablissement, « si contraire aux règles canoniques », disait saint Thierry, « que le pape Sergius n’y avait eu aucun égard et n’avait accordé à Ebbon que la communion laïque ». La sagesse du vénérable évêque de Cambrai et d’Arras contribua beaucoup alors au rétablissement de la paix.
Malgré des occupations multipliées et des inquiétudes continuelles qui l’assiégeaient de toutes parts, saint Thierry trouvait encore le temps de satisfaire sa piété et celle de ses ouailles, en rendant aux reliques des Saints les hommages et les respects qui leur sont dus. Il eut la consolation de lever de terre le corps de saint Liévin, dans le village de Houthein, au territoire d’Alost, et d’y reconnaître publiquement les miracles et les guérisons qui s’opéraient souvent au tombeau de ce saint missionnaire martyrisé.
Au bruit des ravages que causaient déjà les Normands sur les côtes de la Morinie et dans les contrées voisines, les religieux de Saint-Vaast d’Arras songèrent à mettre en sûreté le corps de leur vénérable patron. Ils prièrent saint Thierry de lever lui-même ce corps précieux. Le prélat se rendit avec bienveillance à leur demande, et accomplit cette touchante cérémonie, non sans ressentir dans le cœur une profonde tristesse à la vue des maux qui commençaient à affliger la France. Après avoir renfermé cette dépouille sacrée dans un cercueil, au milieu d’une foule immense de spectateurs en larmes, saint Thierry, accompagné des religieux, le transporta lui-même jusqu’à Beauvais.
Mais ce n’étaient pas seulement les pirates qui excitaient les désordres et qui affligeaient le cœur des évêques. Il y avait aussi alors un grand nombre de seigneurs déréglés et cupides, qui se livraient à toutes sortes de vexations et de rapines. Un homme de la contrée, en particulier, ne cessait de ravager les terres dépendantes de l’Eglise d’Arras et d’y exercer de continuelles violences. Saint Thierry usa d’abord de tous les moyens que lui suggéra son esprit de douceur et de patience. Il adressa à cet homme de sages avertissements, propres à le toucher, et l’invita en même temps à se rendre auprès de lui. Mais celui-ci refusa opiniâtrement, malgré toutes les instances que l’on put faire : puis, quand il apprit que l’excommunication avait été lancée contre lui, il vomit contre le saint Pontife toutes les injures que son aveugle fureur lui inspirait. Poussé, pour ainsi dire, par une rage de cupidité et de haine, il se livra, dès ce moment, à de nouvelles et plus criminelles violences. Mais Dieu permit peu de temps après qu’il pérît d’une manière tragique, et avec des circonstances dans lesquelles chacun reconnut un effet de la justice divine.
Au milieu de toutes ces peines et sollicitudes du ministère épiscopal, saint Thierry trouvait dans la prière les plus douces consolations. « Souvent », continue Balderic, dans sa chronique de Cambrai et d’Arras, « il prolongeait son oraison bien avant dans la nuit. Il fut même quelquefois ravi en extase ». Le digne évêque trouvait aussi dans l’amitié de son métropolitain, le célèbre Hincmar de Reims, un soulagement dans les peines de son laborieux épiscopat. Les écrits du docte archevêque de Reims prouvent qu’il portait à saint Thierry un vif intérêt, qu’il ressentait un profond respect pour sa vertu et avait pour lui une sincère amitié.
Le vénérable évêque de Cambrai et d’Arras était déjà assez avancé en âge quand il dut se rendre dans un endroit de son diocèse, que les auteurs ne désignent pas. C’était, selon toute apparence, pour y remplir quelques fonctions de son ministère. Comme il arrivait à quelque distance de ce lieu, il dit à ceux qui l’accompagnaient qu’un accident le menaçait. Ceux-ci insistèrent aussitôt pour l’empêcher d’aller plus avant, mais saint Thierry leur répondit avec calme : « Nous ne devons point chercher à nous soustraire à la volonté de Dieu qui nous frappe pour nous guérir, qui nous blesse pour nous apporter ensuite le remède ». À peine avait-il achevé ces mots qu’un mendiant se présenta devant lui et le salua avec respect. La mule sur laquelle était monté le saint vieillard fut effrayée par les gestes de cet homme, et dans le mouvement qu’elle fît, elle le renversa dans les bras de ses gens qui s’étaient précipités pour prévenir sa chute. Tous s’empressèrent de porter le saint évêque dans un lieu voisin pour lui faire remettre la cuisse qui était cassée, et lui donner les autres secours que réclamait sa position.
Cet accident hâta vraisemblablement la mort de saint Thierry, qui remit son âme à son Créateur le 5 août 862 ou 863, après un épiscopat d’environ trente-deux ans. Son corps fut déposé dans le cimetière du monastère de Saint-Aubert, et y resta jusqu’au temps de l’évêque Fulbert. À cette époque, il fut transporté dans la ville de Magdebourg, en Saxe, pour satisfaire l’empereur Othon le Grand, qui avait demandé des reliques pour les églises de cette ville qu’il venait de fonder.
Tiré de la Vie des Saints des diocèses de Cambrai et d’Arras, par l’abbé Destombes.
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