SAINT EUPHRONE, ÉVÊQUE D'AUTUN
490. — Pape : Saint Félix III. — Roi de France : Clovis Ier.
Nul n’arrivera au royaume du ciel, s’il ne marche dans le sentier du droit et de la justice.
Saint Cyprien.
Saint Euphrone nous apparaît dans l’histoire comme une des plus imposantes autorités, une des plus brillantes lumières de l’Eglise des Gaules, un des plus beaux ornements de l’épiscopat au cinquième siècle. Dès sa jeunesse, l’étude des divines Écritures et des saints Pères fit sa plus sérieuse occupation et ses plus chères délices : il ne pouvait s’en détacher. Formé de bonne heure par la lecture et la méditation assidue de ces livres qui, nourrissant à la fois l’esprit et le cœur, sont une source inépuisable de vertus et de lumières, il se distingua également par la sainteté de sa vie, par sa science, par son zèle pour la maison de Dieu et la beauté du culte, pour l’honneur et la vertu du clergé, pour la régularité de la discipline. On remarquait surtout en lui une prudence admirable, une sagesse consommée : aussi le consultait-on comme un des orateurs de cette époque.
N’étant encore que simple prêtre et jeune encore, il se montra digne de l’épiscopat auquel la Providence le destinait, non-seulement par l’étendue de sa science ecclésiastique et l’éminence de toutes les vertus sacerdotales, mais encore par une de ces œuvres qui aussitôt révèlent la valeur d’un homme. Saint Symphorien reposait dans une simple et petite chapelle, seul monument érigé jusqu’alors à une si grande et si sainte renommée! Euphrone, dont les idées étaient élevées et le cœur large autant que pieux, crut que ce n’était point assez pour le héros chrétien, la plus brillante illustration de sa patrie et même de l’Eglise des Gaules. Toutes les fois qu’il allait prier dans ce cher et vénéré, mais trop humble sanctuaire, il se disait à lui-même : L’honneur de la religion pour laquelle a combattu ce jeune et vaillant athlète, l’honneur aussi de la cité qui lui donna le jour, le bien des âmes, l’édification des nombreux pèlerins, tout ne demande-t-il pas que nous rendions à notre glorieux compatriote et martyr un culte plus digne de lui, plus digne surtout du Dieu qui se plaît à le glorifier? Honorons-le sur la terre en proportion, s’il est possible, des honneurs qu’il reçoit au ciel, en ornant d’une sainte magnificence le tombeau où repose le corps sacré de cette victime sans tache immolée au Seigneur. Symphorien jouit d’un crédit tout-puissant auprès du divin rémunérateur dont il est l’ami : élevons sous son vocable un temple à celui pour lequel il a combattu ; déployons-y la majesté du culte; établissons près de ces reliques une maison de prière où des religieux imploreront sans cesse sa fraternelle protection et feront descendre sur nous les grâces dont Jésus-Christ l’a fait le dispensateur spécial auprès de ses concitoyens. Honorer les saints, les martyrs, n’est-ce donc pas aussi semer sur la terre des germes de sainteté, provoquer à la vertu par l’influence entraînante de l’exemple, réveiller la foi, inspirer au courage chrétien de généreux élans, raviver au cœur des fidèles le feu de la divine charité? Enfin la gloire des saints sur la terre n’est-elle pas la gloire de l’Eglise, la gloire de Dieu même ?
Tel était l’objet de ses pensées ou plutôt sa préoccupation constante et son vœu le plus ardent. Au reste, son parti fut bientôt pris. Riche, mais vraiment maître et non esclave de ses richesses, il savait en user noblement et saintement ; prêtre, il ne se regardait que comme l’administrateur de sa fortune, persuadé que la Providence la lui avait donnée pour qu’elle fût entre ses mains un instrument de bonnes œuvres. Plein de ces hautes idées, pénétré de ces sentiments si beaux et si chrétiens, il n’écouta que l’inspiration de son zèle sacerdotal ; et bientôt, grâce à sa pieuse munificence, s’éleva en honneur et sous le vocable de Saint-Symphorien une superbe basilique où fut déposé en grande pompe le corps du glorieux martyr avec ceux de saint Fauste, son vénérable père, et de sainte Augusta, son héroïque mère, dignes tous deux de partager ici-bas les honneurs du culte religieux rendu à leur fils, comme ils partagent au ciel sa récompense. Ainsi les précieux restes de ceux qui ont été nos aïeux selon la foi et la plus radieuse pierrerie de la couronne d’Autun chrétien, reçurent un éclatant, un solennel témoignage de la vénération qu’ils méritaient. Les fidèles, voyant entouré d’une sainte magnificence et de toutes les splendeurs, de toutes les pompes de la liturgie sacrée, un tombeau qu’ils vénéraient, qu’ils aimaient comme un tombeau de famille, comme un titre de gloire et de protection, comme une source de célestes faveurs, bénissaient le digne prêtre Euphrone et remerciaient Dieu de vouloir bien toujours donner à son Église des exemples de hautes vertus. — L’architecture de cette antique basilique de Saint-Symphorien devait avoir un style et un caractère analogues à ceux des monuments romains qui alors décoraient la cité, c’est-à-dire l’élégance dans la grandeur. Nous voudrions pouvoir en faire la description ; mais l’histoire se contente de vanter en termes généraux la majestueuse élévation du saint édifice qui frappait de loin les regards. L’entrée était précédée d’un superbe nartex ou portique. C’est là que fut d’abord placé le tombeau de saint Symphorien ; là que s’abritaient les nombreux pèlerins venant de toutes parts vénérer les reliques du célèbre martyr, les malades demandant leur guérison.
Euphrone ne se contenta pas d’édifier cette grande église ; il mit le complément à son œuvre en établissant, pour desservir la basilique, une nombreuse communauté de clercs réguliers. Cette sainte maison devint comme un foyer de lumières pour tout le pays et une sorte de séminaire diocésain où se forma le clergé. Autun eut une abbaye proprement dite. Ce grand établissement religieux, un des plus anciens des Gaules, doit donc marquer dans l’histoire de l'Ordre monastique comme dans l’histoire du culte et de la gloire posthume de saint Symphorien. Ainsi Euphrone eut le double mérite d’élever sur le tombeau de notre illustre Saint un temple magnifique au Dieu des martyrs et en même temps d’y entretenir la sainte psalmodie ; d’y favoriser, d’y développer la discipline régulière, les vocations ecclésiastiques, la vie cléricale ; d’y faire fleurir la perfection évangélique, à l’ombre du vaste et beau cloître qu’il venait de faire édifier pour recueillir, pour abriter les âmes choisies qui, trouvant le monde trop bas pour elles et s’y sentant mal à l’aise, aspirent à monter plus haut, à vivre dans une atmosphère plus pure. Ce remarquable monument du zèle et de la piété du saint prêtre fut comme le confluent où vinrent se mêler les deux grandes sources de la vie monastique à celle époque, la règle de saint Basile arrivant de Cappadoce et celle de saint Antoine de l’Égypte. Ces deux règles précédèrent en ces lieux toutes les autres et formèrent le code primitif du grand monastère de Saint-Symphorien où l’on vit se réunir et se fondre dans une harmonieuse unité la vie cénobitique et la vie solitaire : l’activité dans le recueillement pour les uns; la prière, la méditation dans le secret d’une cellule pour les autres; la pratique des conseils évangéliques pour tous.
Cette grande œuvre, si féconde dans le présent et destinée à l’être plus encore dans l’avenir, est enfin accomplie. Elle a mis plus que jamais en évidence le saint prêtre qui déjà s’était attiré l’estime et la vénération générales par sa science, par sa sagesse, par ses vertus sacerdotales et par le bon usage qu’il faisait de ses richesses. Aussi tout le monde le désignait-il d’avance pour l’épiscopat ; et quand, bien des années après, le siège d’Autun devint vacant par la mort de Léonce (vers l’an 460), il fut proclamé d’une voix unanime successeur de ce saint prélat. Son élection ne fit que ratifier un choix arrêté depuis longtemps par l’opinion publique. Il passa donc du gouvernement du monastère de Saint-Symphorien, dont il fut sans doute le premier abbé, au gouvernement d’un grand diocèse. Nul n’était autant que lui à la hauteur d’une si éminente position. Dès lors son mérite, placé sur un théâtre plus élevé et trouvant pour se développer une sphère plus étendue, jeta encore un plus vif éclat, rayonna plus loin et put exercer une vaste influence, qui même ne s’arrêta point aux limites de l’église d’Autun. Comme Rhétice, un de ses plus illustres prédécesseurs, le nouvel évêque devint une des lumières et un des plus beaux ornements de l’Eglise des Gaules. Consulté de toutes parts, aimé et apprécié partout, jouissant d’une immense considération, souvent en rapport avec les plus illustres personnages de son temps et avec tous les grands prélats qui étaient alors la gloire de l’épiscopat, il fut mêlé à plusieurs affaires importantes et montra en toute occasion cette science ecclésiastique, cette sagesse, ce zèle pour le culte divin et pour la sainte discipline qu’il possédait à un degré si remarquable.
Après avoir été le conseil de Talasius d’Angers relativement au culte et à la discipline, et de Sidoine de Clermont dans le choix de l’évêque de Bourges saint Simplice, l’âme avec saint Patient d’une réunion d’évêques qui donna aux Châlonnais un digne pasteur dans la personne de saint Jean, Euphrone fut encore la lumière du concile d’Arles (475), où vingt-neufévêques condamnèrent les erreurs des Prédestinatiens qui avaient jeté le trouble dans les églises de la Provence. L’auguste assemblée eut la consolation de voir le prêtre Lucide, fauteur de cette hérésie, se rétracter en ces termes : « Conformément au décret que vient de rendre le vénérable concile, je condamne avec lui cette proposition : L'action de la grâce divine est indépendante de la volonté humaine ou de la coopération. Le dogme catholique fut exposé dans une lettre rédigée par Fauste de Riez. La signature d’Euphrone est une de celles qu’on lit à la suite de ce beau monument de la foi de l’épiscopat des Gaules. Il était allé protester au nom de son Eglise contre les fausses interprétations données par quelques téméraires à la doctrine de saint Augustin sur la grâce. C’est ainsi que ce grand évêque se trouve partout où il s’agit d’un grave intérêt pour la discipline ou la foi.
Non content d’avoir montré, comme on l’a vu précédemment, tant de zèle et de magnificence pour honorer les reliques et la mémoire de saint Symphorien, il contribua encore par une pieuse libéralité à orner le tombeau de saint Martin, à Tours : admirable pensée que de témoigner aussi hautement que l’église d’Autun aimait à se souvenir que ce grand Saint avait honoré ces lieux de sa présence, signalé son passage par des prodiges, évangélisé les peuples et contribué puissamment à détruire les restes de l’idolâtrie.
Saint Euphrone mourut vers l’an 490, plein de jours, mais surtout de mérites et de gloire devant Dieu comme devant les hommes, c’est-à-dire qu’il alla recevoir au ciel le prix de ses vertus et de ses longs travaux. Il fut inhumé dans la basilique et près du tombeau de saint Symphorien. Lui-même y avait choisi sa dernière demeure; c’est là qu’il voulait attendre en paix, dans la compagnie et sous la protection du jeune Saint, l’objet de son culte et de son amour, le jour de la résurrection glorieuse. Il reposa dans cette basilique jusqu’en 1803, époque à laquelle il fut transféré dans la cathédrale d’Autun.
Plusieurs églises furent mises sous le patronage de saint Euphrone ou même portèrent son nom, une entre autres située près de Semur-en-Auxois, qui était à la nomination du Chapitre de la cathédrale d’Autun.
Extrait de Saint Symphorien et son culte, par l'abbé Dinet.
תגובות