SAINT EXUPÈRE OU SAINT SPIRE
PREMIER ÉVÊQUE DE BAYEUX ET CONFESSEUR
140. — Pape : Saint Hygin. — Empereur romain : Antonin, le Pieux.
C’est surtout le propre des Saints de ne rien préférer au salut des âmes, ni l’honneur, ni la gloire, ni quoi que ce puisse être.
Saint Jean Chrysostome.
Les Mémoires de l’Eglise de Bayeux nous apprennent que saint Exupère, que l’on appelle communément saint Spire, et qu’elle reconnaît pour son premier évêque, fut un de ces heureux missionnaires que saint Clément, pape, disciple de saint Pierre, envoya dans les Gaules avec saint Denis l’Aréopagite, pour y annoncer la venue du Fils de Dieu. Il était romain et d’une très noble famille, et avait été formé à toutes les sciences qui peuvent cultiver un bel esprit. Le pays qui lui échut dans la distribution des provinces des Gaules, pour la prédication de l’Évangile, fut cette partie de l’ancienne Neustrie que l’on nomme actuellement Basse-Normandie. Il s’y rendit avec joie ; et, étant entré dans Bayeux, qui dès lors en était la capitale, il y travailla avec tant de zèle, qu’il vit bientôt le succès de ses travaux, c’est-à-dire un assez grand nombre de fidèles pour composer une Eglise florissante. Il y fit donc bâtir un oratoire, où les nouveaux chrétiens s’assemblaient, et où lui-même célébrait tous les jours les saints Mystères, et distribuait le pain de vie, qui est Jésus-Christ dans son sacrement, et le pain de la parole de Dieu. Cet oratoire était dédié en l’honneur de la sainte Vierge, et l’on croit qu’il était au lieu même où est aujourd’hui la cathédrale, qui la reconnaît toujours pour sa patronne et sa titulaire.
Trois choses contribuèrent beaucoup à cet heureux succès de la prédication du nouvel apôtre. La première était la pureté de ses mœurs et la sainteté de sa vie ; car on voyait en lui un homme qui vivait dans un corps comme s’il n’en eût point eu ; qui ne faisait pas plus d’état des richesses et de toutes les grandeurs du monde que de la poussière qu’il foulait aux pieds; qui fuyait les honneurs avec plus de soin que les superbes n’ont d’empressement pour s’en procurer ; qui supportait les injures et les persécutions avec une douceur et une patience invincibles, et dont la vie était une prière et un jeûne continuels. La seconde chose était son zèle et la force merveilleuse de sa parole ; car, outre qu’il était naturellement éloquent et qu’il avait encore perfectionné ce don par l’étude et par l’exercice, Dieu lui donnait tant d’ardeur et de feu dans la prédication, qu’il fallait être extrêmement endurci pour ne pas se rendre à la solidité de ses raisons et à la véhémence de ses exhortations. La troisième, enfin, était la puissance de faire des miracles qu’il avait reçue de Dieu ; car il n’y avait point de maladie qui résistât à son commandement ni de nécessité corporelle ou spirituelle à laquelle il ne remédiât par la force du nom de Jésus et du signe de notre salut et de notre rédemption. Un jour, sept possédés lui ayant été amenés, après une longue prière qu’il fit à Dieu, les larmes aux yeux et prosterné contre terre, il les délivra par la vertu de ce signe salutaire : ce qui fut cause de leur conversion et de celle de cinq cents personnes qui avaient été témoins d’un miracle si éclatant. De ce nombre fut le comte de Noroy, appelé Régnobert, qui profita si bien des excellentes leçons de son maître, qu’il devint bientôt lui-même un excellent prédicateur de l’Évangile, et qu’ayant été élevé au sacerdoce par saint Spire, il fut depuis son successeur et second évêque de Bayeux. On raconte qu’un jour un païen aveugle, entendant un sermon de Régnobert, se convertit et se fît mener à lui pour être instruit plus parfaitement et recevoir le baptême. Régnobert se contenta de le catéchiser ; mais, pour le baptême, il voulut qu’il le reçût des mains de saint Spire. Il le prit donc par la main pour le conduire au saint prélat; mais, pendant qu’il le tenait, la vue lui fut rendue miraculeusement, et il n’eut plus besoin de guide pour marcher. Ce miracle effraya Régnobert, lui faisant craindre qu’on ne lui en attribuât l’honneur, mais consola merveilleusement saint Spire, qui était ravi de voir son double esprit rejaillir sur ses disciples.
Ce grand évêque délivra encore sept autres démoniaques par les mêmes armes dont il s’était servi à l’égard des premiers. Mais les démons se retirèrent avec des cris si terribles, que tous les spectateurs en furent épouvantés et tombèrent à terre à demi morts. Cette chute leur fut salutaire. Ils apprirent par-là à craindre Dieu et à se préserver de la damnation, où l’on est pour toute une éternité entre les mains de ces monstres, dont la rage contre les hommes est si épouvantable. Ainsi, ceux qui n’étaient pas encore du troupeau de Jésus-Christ détestèrent les erreurs du paganisme, et demandèrent instamment le saint baptême. Le principal de ces nouveaux convertis fut Zénon, seigneur du pays, qui marcha depuis à si grands pas dans les voies de la perfection, qu’il fut bientôt jugé digne du sacerdoce et de la dignité d’archidiacre, dont il s’acquitta saintement : l’Eglise l’a mis au catalogue des Saints.
Au reste, il ne faut pas croire que saint Spire soit toujours demeuré dans Bayeux : ayant tout le pays maritime de la Neustrie pour son ressort, il ne manqua pas d’y porter de tous côtés la lumière de la foi. C’est dans ces travaux évangéliques qu’il employa sa vie jusqu’à une heureuse vieillesse. Lorsqu’il se vit près de mourir, il appela ses enfants autour de lui, et, à l’imitation de Notre-Seigneur, il les exhorta à l’union entre eux, à la charité pour le prochain, au zèle du salut des âmes, au véritable amour de Dieu, et les recommanda d’une manière pleine de tendresse au Père céleste, dont ils étaient plus les enfants que les siens, puisqu’il ne les avait engendrés en Jésus-Christ qu’afin qu’ils eussent Dieu pour père. Ensuite, ayant reçu les Sacrements avec une révérence et une dévotion extraordinaires, et voyant les Anges descendre du ciel pour conduire son âme dans la gloire, il adressa ces belles paroles au souverain Seigneur qui les envoyait : « O mon Dieu ! Lumière éternelle, Fontaine de toute piété et Roi de tout cet univers, en qui j’ai cru, que j’ai aimé, et dont j’ai annoncé la sainte doctrine, je vous prie de regarder d’un œil favorable la prière de tous ceux qui auront recours à vous par mon intercession, afin que toutes vos créatures vous bénissent dans tous les siècles des siècles ». Les clercs qui étaient présents répondirent : Amen. Et, au même instant, l’esprit du bienheureux Spire se sépara de son corps, pour aller jouir éternellement de la possession de son Dieu.
Saint Régnobert, son disciple, prenant soin de son corps, le fit enterrer sur une colline hors de la ville, où les fidèles firent bâtir une petite chapelle en son honneur ; elle a été changée dans la suite des temps en une paroisse; on n’y a jamais enterré : lorsqu’on l’a essayé, cette terre, par honneur pour saint Exupère, a rejeté les dépôts qu’on voulait lui confier.
CULTE ET RELIQUES.
Le corps de saint Spire fut levé par un de ses successeurs, qui le mit dans une chasse et le transporta dans l’église cathédrale de Bayeux, où il demeura jusqu’en 863. A cette époque, les fidèles neustriens, craignant que les Normands, qui désolaient toutes leurs côtes, ne missent leurs mains sacrilèges sur de si précieuses reliques, les apportèrent eux-mêmes dans un château du Gâtinois appelé Palluau, avec celles de saint Leu ou Loup, évêque de Bayeux.
Quatre-vingts ans après, un comte de Corbeil, nommé Haymon, avec Elisabeth, son épouse, les firent apporter avec beaucoup de magnificence dans leur ville de Corbeil, où ils firent bâtir une église en leur honneur, et y fixèrent un abbé séculier et douze chanoines pour la célébration perpétuelle des divins offices. Haymon voulut être enterré dans cette église, et l’on y montre aussi son tombeau avec sa représentation en marbre blanc et divers monuments et témoignages de piété. Les comtes, ses successeurs, et nos rois très chrétiens ont accordé de grands privilèges à ce chapitre ; ce qu’ont fait aussi les souverains Pontifes et les évêques de Paris pour ce qui touche le spirituel.
Au commencement du XVIIe siècle, le nombre de ces chapitres fut augmenté par l’annexe qui se fit du chapitre de l’église royale et collégiale de Notre-Dame de Corbeil à celui de Saint Spire, afin de laisser aux habitants l’église de Notre-Dame pour paroisse. Le roi Henri IV en fit expédier des lettres patentes en 1602, mais elles ne furent enregistrées au parlement qu’en 1611, un an après sa mort.
Les prodiges ont rendu le pèlerinage de Saint Spire si célèbre, qu’on voit ordinairement dans son église une grande affluence de monde qui vient implorer son secours. Il y eut encore d’autres translations de ses reliques et de celles de saint Leu, pour les mettre dans des châsses neuves et plus magnifiques : l’une en 1317, sous le règne de Philippe le Long ; l’autre en 1454, sous le règne de Charles VII, et une troisième très solennelle en 1619, sous le règne de Louis XIII ; et, comme elles ont toutes été faites le cinquième dimanche d’après Pâques, qui précède la fête de l’Ascension de Notre-Seigneur, la principale fête de saint Spire et de saint Leu se fait tous les ans en ce dimanche. On descend les châsses dès la veille pour dix jours, on dit Matines à dix heures du soir, et la messe à minuit, et l’on fait la procession, le jour, à neuf heures du matin ; alors ces châsses sont portées par des hommes sages et vertueux qui composent une Confrérie de porteurs à qui le pape Grégoire XIII a accordé de très belles indulgences.
On descend encore la châsse de saint Spire, pour les sécheresses, les inondations et les incendies. En l’année 1648, le feu ayant pris aux moulins à poudre d’Essonne, et menacé Corbeil, qui en est proche, cette ville fut préservée de ce malheur par la châsse de saint Spire, qu’on opposa à la fureur des flammes. De l’an 950 à l’an 1791, Corbeil possédait le corps entier de cet illustre pontife, qu’il n’invoqua jamais en vain : il en reçut de grands secours et de précieuses consolations. Aussi la consternation a-t-elle été générale en 1793, quand ses restes précieux furent profanés et livrés aux flammes sur une place publique de la ville.
On put soustraire à la profanation et à la destruction deux insignes reliques : la mâchoire inférieure et un os de l'avant-bras. La première est déposée à Corbeil, et la deuxième est dans l’église de Bayeux, où on a rétabli l’usage de la porter, avec les autres reliques de la cathédrale, à la procession solennelle de l’Assomption.
L’église de Saint Exupère est encore vénérée comme le lieu de sa sépulture et de celle des saints évêques, ses successeurs, et elle renferme encore les sarcophages dans lesquels leurs corps furent déposés. Plusieurs d’entre eux, et en particulier celui de saint Exupère, ont été profanés et brisés à l’époque de la Révolution. Maintenant ils sont protégés et renfermés dans l’enceinte d’une chapelle souterraine où ils sont demeurés en leur place.
Nous avons complété cette biographie an moyen de Notes locales fournies par M. Girard, curé de Corbeil, et par M. Le Conte, chanoine honoraire de la cathédrale et curé de Saint Exupère, à Bayeux.
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